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prendrait des précautions, dont Papin ne soupçonnait peut-être même pas la nécessité. Quoi qu’il en soit, ce coup lui fut fatal. Les adversaires de sa faveur auprès du prince affectèrent de regarder Papin comme « un aventurier, entreprenant sans expérience et par pure spéculation cent choses diverses, au péril de sa propre existence et des jours du souverain. »

Abandonnant, sans doute contre son gré, la situation qu’il avait à Cassel, Papin demanda l’autorisation de se retirer en Angleterre, et elle lui fut accordée, sans qu’il ait stipulé de dédommagement (1707). Il avait soixante ans, et il recommençait sa carrière, moins avancé qu’au moment où Boyle le faisait nommer en 1 680 curateur aux expériences de la Société Royale. Toujours enthousiaste et rempli d’espérances, il voulait vendre à la reine d’Angleterre la machine de son bateau à vapeur, comme cent ans plus tard Fulton proposa la sienne à Napoléon : on voit combien la réalisation pratique était encore lointaine. Mais Papin ne se croyait pas moins sûr de son fait. Il emporta avec lui la chaloupe modèle, destinée à marcher au moyen de la vapeur, et il débuta par naviguer sur la Fulda, se proposant de faire démonter sa machine un peu plus loin, pour la mettre à bord du navire qui traverserait la mer.

C’est ici qu’éclate l’imprévoyance de cet homme de génie. En arrivant à l’embouchure de la Fulda, pour passer sur le Weser, on sortait des États du landgrave de Hesse, dont la protection le couvrait, pour pénétrer dans ceux de l’électeur de Hanovre. Là, la navigation du Weser était attribuée par monopole à la ghilde des bateliers, très jalouse d’un privilège dont elle vivait. Il fallait donc à Papin des autorisations spéciales pour poursuivre sa navigation. Il les demanda en effet; mais, malgré une recommandation de Leibnitz, les bureaux de l’électeur de Hanovre refusèrent catégoriquement, et la ghilde ne fit pas meilleur accueil à la demande. Au lieu de poursuivre ses négociations, ou au besoin de démonter sa machine un peu plus tôt, sur les bords de la Fulda même, Papin, impatienté et se berçant de je ne sais quelle illusion, s’imagina qu’il pourrait poursuivre quand même et éluder le privilège des bateliers. Il s’embarqua donc avec sa famille et quelques bateliers sur son bateau « sans rames, ni voiles, » et pourvu uniquement de roues ; c’est-à-dire dans les conditions les plus propres à exciter la jalousie et la crainte des possesseurs du monopole. Nous savons dans le dernier détail ce qui arriva ; car les procès-verbaux, rédigés au bailliage de Munden, ont été retrouvés et publiés. A peine Papin est-il descendu à Loch, dans les eaux du Hanovre, que les bateliers s’emparent de son bateau et déclarent qu’il est devenu la propriété de la ghilde. Malgré une tentative impuissante