Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombreux ouvrages grecs et latins. Les légendes que les Romains ont concentrées sur le nom d’Archimède et sur le siège de Syracuse, où ils éprouvèrent les effets inattendus et effrayans de ces machines et artifices, doivent être reportées en réalité sur plusieurs générations de géomètres et de mécaniciens. Mais aucun de ces progrès, dans l’antiquité, n’a reposé sur une force motrice empruntée aux gaz ou aux vapeurs : c’est seulement l’invention du feu grégeois qui a conduit plus tard les observateurs à constater avec surprise la force d’impulsion des matières explosives et à en tirer la poudre à canon[1].

Dans le long intervalle qui sépare les Ptolémées de Salomon de Caus, nous ne trouvons que deux ou trois faits, révélant quelque application de la force de la vapeur. L’un est une anecdote d’Agathias, d’après lequel Anthemius, le savant architecte de Sainte-Sophie, se serait amusé à ébranler l’appartement de son ennemi, Zenon, par la pression de la vapeur d’eau; l’autre rentre dans ces fraudes de prêtres, signalées plus haut.

On trouva vers le XVe siècle, au château de Rothenbourg, ensevelie sous les décombres, une vieille idole en bronze, appelée depuis Entpustend ou Pustorich (le Souffleur), et qui paraît être l’image de Perun ou Perkunas, divinité wendo-slave présidant aux phénomènes atmosphériques. C’est une statue creuse, dont la tête porte en guise de bouche un orifice annulaire, et un autre orifice plus petit au sommet. Elle pouvait être fixée à un poteau, à l’aide d’une chaîne. Cette statue fut achetée en 1522 par le châtelain de Sondershausen, lieu où elle est restée. D’après la tradition, cette idole, remplie d’eau et mise sur un brasier, vomissait des flammes et brûlait les maisons et les vergers des Saxons Thuringiens, lorsque ceux-ci refusaient aux prêtres une part des récoltes auxquelles Perun présidait. Divers essais furent faits dans les temps modernes, pour en vérifier les propriétés. Le premier eut un dénoûment fatal : l’idole incendia le château de Rothenbourg. Au deuxième essai, la statue se renversa et l’eau qu’elle contenait éteignit le feu. En 1817, Ludloff, conservateur du musée de Sondershausen, combina mieux son expérience. L’idole étant remplie d’eau aux trois quarts et placée sur un foyer, ses orifices bouchés d’ailleurs avec de fortes chevilles, au bout de quelque temps elle se prit à mugir ; puis la cheville de la bouche sauta avec bruit, et un jet de vapeur, accompagné de sifflemens aigus, s’élança à 30 ou 40 pieds de distance, en enveloppant tout l’espace environnant d’un brouillard épais, qui couvrit une vaste surface.

  1. Voir l’article que j’ai consacré à cette question, dans la Revue du 15 août 1891.