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beaucoup de peine que c’était justement ce qu’y admirait de préférence la critique anglaise; et si jamais philosophes ont différé les uns des autres, c’est Schelling de Thomas Reid ou Schopenhauer de Dugald Stewart. Nous aurons vu changer tout cela. Les Anglais continueront-ils seulement d’être plus curieux de physique expérimentale et les Allemands de métaphysique transcendante? Croiront-ils devoir cet hommage au passé de leur race? Mais, en attendant, c’est à Iéna ou à Berlin que la philosophie tout entière se voit réduite à la « physio-psychologie » et c’est à Oxford, je pense, qu’il faut aller aujourd’hui chercher les derniers des métaphysiciens. Voilà qui est nouveau ! Les aptitudes anglaises sont devenues les aptitudes allemandes ! Mais ce qui est encore plus nouveau, c’est que tous ensemble. Anglais ou Allemands, Français ou Italiens, Norvégiens ou Russes, ils ont la conscience de travailler à une œuvre commune. La science, — et je prends ici le mot dans son acception la plus générale, — est devenue pour eux non seulement la maîtresse de la vie commune, mais, et de même qu’autrefois la religion, une règle impersonnelle et souveraine de penser. On discute et on se dispute, sans doute ! C’est qu’il y a savans et savans; et puis la science ne dit pas toujours tout ce qu’elle semble dire, tout ce qu’on lui fait dire. Il y a des questions qui lui échappent et que l’on peut affirmer qui lui échapperont toujours. On ne trouvera jamais l’absolu dans le col d’un matras. Mais, divisions ou contradictions, discussions ou disputes, rien ne saurait empêcher que, sous la discipline de la science, une unité intellectuelle soit en train de se refaire, et déjà nous pouvons affirmer qu’il y a des siècles que le monde n’avait pensé d’une manière plus uniforme. Aux mêmes problèmes, si ce ne sont pas les mêmes réponses que l’on fait, ce sont du moins les mêmes méthodes que l’on applique; et c’est pourquoi, comme on voit, dans les mêmes régions du globe, les mêmes vents régner dans les mêmes saisons, ce sont aussi, dans le monde intellectuel, les mêmes courans d’idées qui se forment, qui grossissent, qui dominent, qui s’interrompent, et qui rentrent sous terre à la fois.

Comment se pourrait-il, qu’en de semblables conditions, une transformation de la manière de sentir ne suivît pas la transformation de la manière de penser et de la manière de vivre ? Nos sensations, nos sentimens varient avec leurs causes ; et comment à la longue la répétition des mêmes idées ou la continuité des mêmes habitudes s’empêcheraient-elles de produire les mêmes effets? Ce serait le renversement des lois de la nature et de celles de la logique même. Qui niera qu’il y ait un rapport, encore mal connu, si l’on veut, et indéterminé, mais certain, entre la multiplication