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mélange final des peuples et peuplades, en nombre si considérable, a toujours offert en France beaucoup moins d’homogénéité qu’en Angleterre par exemple (un pays insulaire et clos) ; si nous avons dû à ce fait une très grande diversité d’aptitudes, nous lui avons dû aussi un équilibre plus instable, où l’on voit, comme par des sautes de vent intérieures, alterner des influences très diverses. Mêlez ensemble, selon art, un Breton, un Normand et un Gascon, vous aurez une image lointaine et déformée du Français moyen d’aujourd’hui. Plus grossière sera la caricature si vous mêlez un Polonais, un Allemand, un Anglais, un Espagnol, un Italien et un Grec; cependant il est certain que la France résume l’Europe et que, au point de vue de la race et du caractère comme au point de vue du climat, nous avons en nous quelque chose des plus diverses contrées européennes. Mais, le mélange s’étant fait il y a de nombreux siècles, une certaine harmonie des élémens s’est établie, d’abord dans l’ancienne Gaule, puis dans la France moderne.

L’acquisition d’un caractère national, le plus un et le plus riche possible, produit chez un peuple une unité d’esprit et de conduite qui le porte au sommet de sa grandeur. Quand ce caractère se décompose, perd son unité et son homogénéité, il engendre l’instabilité des opinions et des actions. Divisé en lui-même contre lui-même, le peuple est alors en équilibre instable. C’est ce qui fait le péril d’une introduction d’élémens étrangers non assimilés ou d’assimilation difficile. Ce péril commence à se manifester en France. Nous sommes menacés de voir croître l’instabilité de notre caractère national par la croissante invasion des étrangers dans notre pays. En Angleterre, le nombre total de résidens étrangers est de 5 pour mille ; en Allemagne 8, en Autriche 17. En France, la proportion est allée croissant avec rapidité. En 1886, elle était déjà de 30 pour 1 000 ; aujourd’hui elle approche de 4 pour 100. Un étranger sur 25 ou 30 habitans, c’est beaucoup, et l’influence sur la race ne saurait être négligeable[1]. Ne suffisant plus nous-mêmes à renouveler et à grossir notre population, nous nous peuplons d’élémens empruntés à tous les coins de l’horizon, à la Belgique, à la Suisse, à l’Allemagne, à l’Italie. La

  1. Depuis quarante ans, le nombre des habitans s’est accru, en France, de 2 millions 350 000 individus; les étrangers sont entrés, dans cet accroissement, pour 900 000, soit 39 p. 100. Depuis quelques années, il y a excédent de naissances chez les étrangers habitant la France, alors que, chez les Français, depuis trois ans, les excédens de décès se succèdent. Les Belges constituent près de la moitié du nombre d’étrangers. Puis viennent les Italiens. Mais les Belges fournissent, sur le sol français, le plus grand nombre de naissances; les Italiens n’y font, le plus souvent, qu’un séjour passager. Voir le beau travail de M. Turquan publié par le journal de la Société de Statistique, nov. 1894.