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notre infécondité systématique, à nos longues guerres, enfin au drainage des grandes villes. Nous sommes aujourd’hui envahis au sud par des Celto-Méditerranéens, au nord par des Germains plus ou moins celtisés ; en une certaine mesure il y a compensation, mais les nouveaux venus ne peuvent être des Français aussi vrais que les autres et il serait infiniment préférable que la France se suffit à elle-même. En moins d’un siècle, le nombre des Européens hors d’Europe est passé de 9 millions à 82 ; l’Angleterre a produit 7 millions d’émigrans ; l’Allemagne 3 millions. La France continuera-t-elle d’assister, repliée sur soi, à cette fécondité débordante des autres nations ? Consentira-t-elle, au lieu de peupler le monde, à vider son sein de sa propre race pour n’y recevoir que des élémens étrangers ?

La question de la race, on le voit, est intimement liée à celle de la population. L’émigration dans les villes, la cherté croissante de la vie et la diminution de la valeur de l’argent, qui invitent à une prévoyance extrême, l’aisance croissante, qui augmente les besoins au lieu de les apaiser et les fait grandir plus vite qu’ils ne peuvent se satisfaire, la densité croissante de la population 5 plus grande en France qu’en Allemagne), la disparition de l’esprit colonisateur (la France l’avait au siècle dernier, l’Angleterre, où la population est dense, l’a toujours) ; la loi militaire, qui retarde les mariages en arrachant les jeunes gens aux occupations rurales pour les pousser dans les villes, la loi du partage égal des fortunes, qui fait qu’on ne veut pas morceler son bien en le divisant et qui, de plus, excite les enfans à compter sur une fortune toute faite, à perdre ainsi l’esprit d’entreprise et à s’engourdir dans la médiocrité, — voilà les causes économiques et sociales de la natalité toujours décroissante[1].

La France pratique un darwinisme à rebours, en faisant reposer le recrutement de sa population sur la sélection des types inférieurs. Les classes aisées, qui sont arrivées par l’intelligence

  1. La réduction exagérée de la quotité disponible (qui devrait être élevée à la moitié) et la presque suppression de la liberté de tester par nos codes, a retenti sur le mouvement de la population. « L’ancien régime, a dit Viel-Castel, faisait des fils aînés ; le régime actuel fait des fils uniques. Au Congrès de 1815, le diplomate anglais, n’ayant pu obtenir de restreindre nos frontières autant qu’il le désirait, s’écria : « Après tout, les Français sont suffisamment affaiblis par leur régime de succession. » On se rappelle la parole plus récente et plus dure prononcée dans le Parlement d’Allemagne : « Leur infécondité équivaut pour eux, chaque jour, à la perte d’une bataille, et dispensera, dans quelque temps, les ennemis de la France d’avoir à compter avec elle. »
    La stérilité actuelle de la Normandie fait contraste avec la superbe expansion de ses rejetons au Canada. En 1763, lorsque Louis XV céda aux Anglais ces « quelques arpens de neige », ils étaient 60 000. Aujourd’hui, la population franco-canadienne dépasse 1 million 500 000 âmes, sans compter plus de 50 0 000 Canadiens français établis aux États-Unis.