Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en catégories dont chacune remplit dans l’élection une fonction différente. Le vote plural, lorsque lui aussi, il se superpose au suffrage universel, assure à tous les citoyens au moins une voix, mais, à certaines catégories de citoyens et sous certaines conditions, il accorde un certain nombre de voix supplémentaires. Le suffrage à plusieurs degrés rompt bien l’égalité entre les électeurs, mais seulement, si on peut le dire, dans le procédé de l’élection. Le vote plural la rompt dans l’attribution même de la qualité électorale. Le suffrage à plusieurs degrés est fondé sur l’idée que, l’élection étant un choix, la plus grande part, dans l’action d’élire, doit revenir à ceux qui sont présumés le plus capables de faire le meilleur choix. Le vote plural, ajouté, comme il l’est généralement, au suffrage universel, repose sur ces deux principes : égalité, identité de genre ou d’espèce entre les hommes — tous les hommes sont des hommes : — donc une voix à chaque citoyen ; mais inégalité de valeur entre les hommes, — tous les hommes ne sont pas les mêmes hommes : — donc une voix aux uns, plusieurs voix aux autres. Au fond, vote plural et suffrage à plusieurs degrés partent de la même idée : inégalité d’aptitude ou de valeur entre les hommes ; mais le suffrage à plusieurs degrés biaise avec elle et tourne autour ; le vote plural la proclame franchement.

Sa théorie est, franchement, une théorie d’inégalité, et, chose remarquable, elle a pénétré avec quelque éclat dans la politique vers le même temps ou peu de temps après que Darwin, dans la biologie, et Spencer, dans la sociologie, arrivaient à des conclusions impliquant l’inégalité naturelle des individus, des races et des sociétés. — La Révolution française avait déclaré de droit naturel l’égalité de tous les hommes, et la conséquence pratique en devait être que tous seraient également électeurs. — s’appuyant sur l’étude de l’homme naturel et de l’homme social, la théorie nouvelle proclamait qu’il n’y a de droits naturels que ceux fondés sur des faits naturels. Du rapprochement de ces deux notions : « Il ne saurait y avoir de droit naturel en contradiction avec le fait naturel » et : « Le fait naturel, c’est l’inégalité de valeur entre les hommes », la conséquence pratique découlait toute seule : — Puisque l’inégalité est le fait, l’égalité ne saurait être le droit ; puisque tous les hommes ne sont pas les mêmes hommes, tous ne doivent pas être électeurs à la même puissance ; et c’est ainsi que de l’inégalité naturelle on déduisait le vote plural, régime d’inégalité.

En elle-même, ce n’est certes pas nous que cette théorie scandalise. Si elle devait rester dans le domaine des idées, nous y souscririons volontiers. Non ; ni physiquement, ni moralement, ni intellectuellement, non, par aucun fait naturel, les hommes