tantôt de deux ou trois ensemble, et tantôt d’une seule d’entre elles. Comment faire ? à quoi se prendre ? et à combien coter chacune ?
Les élémens de pluralité, proposés le plus communément, sont : la propriété, l’instruction, la position sociale ; c’est-à-dire qu’on propose ordinairement d’accorder un certain nombre de voix supplémentaires à ceux qui justifient d’une certaine propriété, d’une certaine instruction, d’une certaine position sociale. À ces trois élémens de pluralité correspondent trois conceptions différentes de l’État : retenir pour critérium ou pour étalon la propriété, c’est regarder l’État comme une société par actions, où le citoyen, l’actionnaire a le droit d’intervenir, à raison et en proportion de son apport de capital ; — choisir l’instruction, c’est le considérer comme une université, comme un collège à la direction duquel les maîtres participent à raison et en proportion de leur grade ; — envisager la position sociale, c’est regarder l’État comme un corps où chaque membre remplit la fonction qui lui est dévolue et concourt à la vie générale, à raison et en proportion de sa fonction particulière.
Prise pour critérium ou pour étalon, la propriété, tout d’abord, paraît offrir un avantage : elle est facile à constater sur les registres du percepteur et se dénonce d’elle-même par le rôle des contributions directes. Foncière, elle est au grand soleil ; mobilière, elle n’échappe plus guère et de moins en moins elle échappera à l’impôt : elle présenterait donc, comme élément de pluralité, des chances d’approximative justesse, et sans doute serait-ce satisfaire à la justice même que d’établir quelque proportionnalité entre la part de chacun dans les charges et sa part aussi dans les droits. Mais il faut prendre garde que ce n’est pas seulement des charges publiques que dérivent les droits publics, et que, par suite, la propriété ou les taxes qui la constatent ne peuvent, à elles seules, fournir une base au vote plural. Et il faut encore prendre garde que le vote plural basé sur la propriété aura l’air d’un cens hypocrite ; qu’il en sera réellement un, et que de toutes les distinctions, celles auxquelles répugnent le plus les démocraties (mais est-il un État moderne qui ne soit plus ou moins imbu de démocratie ? ) sont celles dont le fondement est la fortune. De toutes les inégalités, les plus durement senties sont celles qui viennent de l’argent. Dans les démocraties, l’argent peut beaucoup, beaucoup trop, mais tout malgré la loi et rien par elle : elle ne lui consent pas le moindre privilège ; officiellement, elle le déteste et le proscrit. C’est pourquoi l’on ne peut pas, aujourd’hui, faire de la propriété, du cens, de la fortune ou de l’argent, une même chose sous quatre noms, la base unique du vote plural.