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quelque distance du corral ; un homme se détache qui déploie un fanion blanc, c’est John D. Lee : il pénètre dans le retranchement et dit aux assiégés qu’il vient leur parler en ami ; que les Peaux-Rouges sont exaspérés de certains actes commis par les émigrans; et que rien ne pourra calmer la fureur des sauvages que l’abandon des approvisionnemens, des armes, du bétail. Il insiste pour que les Arkansais se soumettent à ces conditions et promet à ce prix sa protection, celle des Mormons et de leur milice.

Ces propositions étonnent les assiégés. Quelques-uns se demandent pourquoi ce chef d’un régiment qui s’abrite sous le drapeau des États-Unis, vient à eux. Américains aussi, avec un fanion blanc comme s’il avait affaire à des ennemis. Mais d’autres sont d’avis qu’il n’y a pas de choix, qu’il faut accepter les conditions posées, que tout vaut mieux que risquer de laisser à la merci des Peaux-Rouges les femmes et les enfans. Après une longue délibération, les émigrans se décident à mettre bas les armes. John D. Lee dicte les termes de la capitulation : les blessés, les enfans en bas âge, les armes seront placés dans les chariots et passeront devant la front de la troupe ; les femmes et les enfans plus âgés suivront à pied, et à petite distance, derrière, viendront les hommes valides, marchant deux par deux.

Toutes choses ainsi réglées, la colonne ne tarde pas à se mettre en mouvement: la première portion défile devant la milice rangée en bataille, puis la seconde, et quand arrivent les hommes valides l’ordre leur est donné de se mettre en file et près de chacun se place un soldat, le fusil chargé.

Au bout de 800 mètres, la tête de colonne arrive à l’embuscade où sont cachés les Indiens et des Mormons déguisés en Peaux-Rouges qui ont pour mission de massacrer les blessés, les femmes, les enfans assez âgés pour donner lieu de craindre qu’ils puissent garder le souvenir du drame qui va se dérouler et le raconter un jour. Le commandement : Halte! se fait entendre. À ce signal, chaque milicien tire sur l’homme auprès duquel il est placé. Les Indiens, bondissant hors des buissons, poussant des clameurs sauvages, égorgent les blessés, les femmes et les enfans. Des cris d’épouvante, de douleur, mêlés aux supplications, aux prières, déchirent l’air. L’effroyable boucherie ne se ralentit pas. Dans la confusion du premier moment, quelques-uns cherchent à se dérober, les assaillans les poursuivent. A nul il n’est fait grâce. Deux jeunes filles sont reprises à 400 ou 500 mètres de distance et sont égorgées avec des raffinemens de cruauté inouïs; une autre, traînée derrière les buissons, subit les derniers outrages avant de recevoir le coup de bowie-knife que lui ouvrira la gorge d’une oreille à l’autre. Il n’y a d’épargnés, — encore plusieurs