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Et que l’on ne croie pas que ces sacrifices mutuels de la poésie et de la musique constituent le moins du monde une entrave pour ces deux arts. Certes il y a tout un genre de beautés qui sont de mise dans les arts isolés, et qui ne sauraient trouver leur emploi dans le drame[1]. Mais, en revanche, la collaboration de la musique « donne au souffle de la poésie une plénitude incomparable ; » et la musique à son tour trouve dans le concours de la parole « une fécondation indéfinie du pouvoir purement musical de l’homme. »


Outre la musique et la poésie, la mimique, la plastique, la peinture et maints autres arts concourent à l’achèvement du drame purement humain. Mais à vouloir fixer avec détail ce que doit y être leur rôle, on risquerait de tomber dans un excès de dogmatisme; mieux vaut, sur ce point, voir à l’œuvre Wagner lui-même, dans ses drames. Nous y trouverons notamment le geste muet promu, par la collaboration de la musique, à une intensité et à une puissance d’expression qui en font un des élémens constitutifs de l’action dramatique : ainsi, dans le Rheingold, le geste de Wotan élevant l’épée; dans Tristan, la scène de la coupe. Ailleurs, par exemple dans les scènes du temple de Parsifal, c’est le tableau qui acquiert toute l’importance d’un élément d’émotion dramatique, toujours grâce à la collaboration du poète, qui nous fait comprendre le sens défini du tableau, et à celle du musicien, qui nous en fait ressentir la portée pathétique. Enfin il n’y a pas une des œuvres de Wagner, depuis le Hollandais Volant jusqu’au troisième acte de Parsifal, où la plastique ne joue par instans un rôle capital dans le développement de l’action. Il importe seulement, au point de vue théorique, que ces arts divers se bornent toujours à remplir dans le drame la fonction spéciale que la nature leur a assignée, sans vouloir jamais empiéter l’un sur l’autre. Wagner, dans un passage de son Œuvre d’art de l’avenir, nous a indiqué la manière dont ces arts divers pourraient s’harmoniser dans le drame. « Se complétant sous mille formes diverses, tantôt ils agiraient tous en commun, tantôt deux à deux, tantôt l’un après l’autre, suivant les exigences de l’action dramatique, seule chargée de donner la mesure et la direction... Mais tous ne doivent avoir qu’une seule intention, qui est le drame lui-même. »


Le drame, c’est en effet le centre où tout doit converger.

  1. De là vient, soit dit en passant, l’impossibilité absolue de séparer, dans les drames de Wagner, le texte et la musique, et de les examiner d’après les règles spéciales de chacun des deux arts.