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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/929

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principe qu’une seule application, née du hasard et purement empirique, Pasteur en faisait sortir une méthode curative d’un pouvoir illimité ; on peut espérer qu’elle combattra victorieusement tous les fléaux, à mesure que leurs véhicules caractéristiques se laisseront surprendre par le microscope. Avec la sage lenteur qui lui garantissait la solidité de ses conquêtes, il s’attaqua d’abord aux maladies des animaux ; ayant éprouvé sur eux l’infaillibilité de la méthode, il osa l’expérimenter sur l’homme. Cette première réussite est d’autant plus admirable qu’il n’a jamais pu voir, comme on sait, l’animalcule spécifique de la rage ; il dut inventer pour le réduire des procédés d’atténuation différens de ceux qu’il avait employés jusqu’alors. Pasteur a gouverné ce terrible inconnu comme Leverrier gouvernait dans l’espace une planète qu’il n’avait pas vue, qu’il connaissait par la seule révélation du calcul. Ces deux triomphes de l’intelligence ont la même beauté grandiose.

La théorie des virus atténués est féconde en conséquences pratiques, d’un prix incalculable pour l’humanité. Serait-ce un vain jeu de lui demander par surcroît des enseignemens philosophiques ? On ne ferait à coup sûr rien de nouveau en cherchant des rapports entre les maladies physiques et les maladies morales, entre les méthodes d’hygiène et de médication qui s’inspirent des mêmes principes pour traiter le corps et l’âme. Si Pasteur a trouvé une application précise et toute nouvelle du vieux précepte similia similibus curantur, ce précepte n’en remonte pas moins très haut ; il a été commun de tout temps aux médecins et aux moralistes. Le voici rajeuni par la doctrine pastorienne : de ce chef aussi, elle peut avoir d’utiles répercussions dans l’ordre spirituel. Il y a des fléaux moraux et des contagions intellectuelles. L’observation nous apprend que le chirurgien n’y peut rien et que le remède est le plus souvent caché dans le mal. Je ne veux ici d’autre exemple que celui de Pasteur lui-même. Nous avons vu comment il inquiéta et fit reculer le positivisme en empruntant aux positivistes leurs armes, leurs méthodes, le meilleur de leur esprit. D’autres tonnaient contre l’erreur et la vouaient aux anathèmes ; ils ne gagnaient rien sur elle ; ils ignoraient l’efficacité des virus atténués. Toutes les idées fausses ou dangereuses, naguère encore très puissantes, que nous voyons céder peu à peu, n’ont pas été sensiblement entamées par leurs adversaires directs et violens. Elles sont tombées en discrédit sous la critique d’écrivains qui les avaient d’abord épousées, qui les ont ruinées avec des raisonnemens déduits de ces idées elles-mêmes.

Nous nous sommes attardé à considérer dans cette fertile doctrine pastorienne quelques-unes de ses réactions, déjà sensibles