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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/931

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REVUE LITTÉRAIRE

UN ROMANCIER DES MŒURS DE LA PROVINCE :
M. RENÉ BAZIN

Quand on vient de lire quelques-uns des romans d’aujourd’hui, on songe à part soi : « Tout de même, comme le champ de la littérature est étroit ! Car d’un livre à l’autre il n’y a que le style qui change, et encore ! Mais pour les personnages qui sont mis en scène, pour les mœurs qui sont étudiées, pour les sentimens qui sont analysés, c’est toujours la même chose. C’est toujours le même monde, riche, oisif, distingué, dépravé; un monde situé, paraît-il, dans un coin de Paris, un petit monde qui tiendrait tout entier dans un salon ou peut-être sur le canapé laissé libre par les doctrinaires d’antan. On y observe comment dans une atmosphère spéciale et sous l’action de fermens variés la plante humaine se décompose et comment s’y comportent tous les bacilles de la pourriture. Pour ma part, je n’ai jamais connu personne qui ressemblât à ces gens-là, car je choisis mes relations. L’âme de ces gens m’est tout à fait étrangère; j’accepte ce qu’on m’en dit, comme je ferais les récits d’un explorateur et faute de pouvoir vérifier. J’ai beau faire, je ne sens en moi pas même le germe de leurs perversités, et leurs élégances me paraissent bien vilaines. Apparemment, c’est que ni moi ni mes pareils nous ne sommes des personnages de roman. Il y a une humanité pour les livres : on la reconnaît à ce qu’elle est en dehors de l’humanité générale. La littérature est un état violent. Les honnêtes gens ne sont pas intéressans. La santé n’a pas de valeur au point de vue de l’art. Il n’y a que l’exception et la maladie qui comptent... » On songe ainsi à part soi et on se garde bien de dire ce qu’on pense, car on ne se soucie pas de passer pour naïf. On se