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différence est que, autrefois, on ne connaissait tous ces détails que longtemps après, et par des historiens qui avaient eu le temps d’être ou de redevenir justes, tandis qu’on les apprend aujourd’hui, avec la rapidité de l’électricité et longtemps avant le dénouement, par des reporters qui, n’ayant encore rien vu, s’émeuvent de tout, font des photographies instantanées au hasard de ce qui se présente, souffrent avec un malade rencontré à un coin de route, et pleurent de tout cœur sur un mourant auquel ils ont eu l’occasion de serrer la main. Et toute cette sensibilité s’épanche torrentiellement dans de longs articles ! Il faut avouer qu’il y a là une difficulté de plus pour la guerre moderne, et non des moindres, car le moral de la nation, sa constance, son imperturbabilité, ne sont pas un élément négligeable dans le résultat définitif.

On ne saurait avoir trop de reconnaissance pour la petite colonne qui, cheminant lentement mais sûrement d’Andriba à Tananarive, a mis fin à toutes ces anxiétés. Le général Duchesne s’est fait beaucoup d’honneur par la manière dont il l’a organisée et dirigée. Il n’y a pourtant pas lieu de passer d’un extrême à l’autre, et de traiter la marche sur Tananarive comme un des plus hauts faits d’armes de nos annales. L’excès dans l’enthousiasme serait une preuve nouvelle de la dépression que nous avons éprouvée pendant quelques jours, et une manière d’en prendre la revanche sur nous-mêmes. Que sera-ce donc si nous avons jamais une vraie guerre, et si nous remportons de véritables victoires? Mieux vaut laisser aux choses leurs proportions exactes. La partie de nos troupes qui est arrivée à Andriba et qui s’est avancée sur la capitale était évidemment très solide. Non seulement, elle a dû être choisie parmi les élémens les plus résistans, mais les fatigues mêmes de la campagne avaient opéré une sélection naturelle : tout ce qui était trop faible était resté en route ou avait été rapatrié, de sorte qu’on peut regarder la petite colonne qui a été chargée de l’opération dernière comme la quintessence même du corps expéditionnaire. Elle portait avec elle la fortune de l’expédition, et, on peut le dire aussi, le sort de notre ministère. Dans l’état des esprits, nous avions besoin d’un succès complet, éclatant, pour faire trêve aux appréhensions d’hier et pour les effacer. Heureusement ce succès a été atteint. Du même coup, les responsabilités sont devenues plus légères. L’orage qui s’alourdissait sur certaines têtes s’est dissipé. Le ciel s’est rasséréné. Grande leçon de philosophie pour ceux qui contemplent les choses humaines, et qui voient combien il y a peu de rapport entre les événemens et les conséquences qu’on en tire, hier contre telles personnes et aujourd’hui en leur faveur. La seule vérité éternelle est que tout est bien qui finit bien.

Et tout a bien fini. Un échec sous les murs de Tananarive était