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des compensations si nous avions annexé la grande île africaine, tandis que les compensations pour notre protectorat ont été d’avance acquittées par nous et réalisées depuis cinq années déjà par l’Angleterre. Nul ne peut dire que l’établissement actuel du protectorat de la France à Madagascar changera l’équilibre des forces dans l’Océan indien en dehors des prévisions et des conventions antérieures. De même qu’en 1878, pendant le Congrès de Berlin, au moment où elle s’est emparée de Chypre, l’Angleterre a renoncé à contester plus tard notre politique à Tunis ; de même en 1890, au moment où elle a mis la main sur Zanzibar, elle a accepté pour l’avenir toutes les conséquences du protectorat déjà établi par nous à Madagascar. Dans les deux cas, si on nous passe le mot, nous avons payé d’avance, nous sommes en règle. Il y a eu entre les gouvernemens anglais et français entente formelle, écrite, plus explicite encore pour Tananarive que pour Tunis. C’est là, en faveur du protectorat, une considération de plus qui a assez de poids par elle-même pour qu’il soit inutile d’y appuyer plus longtemps.

Les partisans de l’annexion se trompent d’ailleurs lorsqu’ils disent qu’il suffit de la proclamer pour faire tomber tous les traités préexistans. Lorsqu’on s’empare d’un pays, on le prend avec les charges et les servitudes qui le grèvent, avec sa dette s’il en a une, avec les arrangemens internationaux qui le lient. Les traités subsistent jusqu’à ce qu’ils soient arrivés à leur terme normal, à moins qu’aucun terme ne leur ayant été assigné, on ne prenne le parti de les dénoncer. C’est là une question d’opportunité, qui demande, pour être heureusement résolue, du tact, de l’habileté, de l’esprit d’à-propos, mais qui ne se présente pas dans des conditions sensiblement différentes sous le régime de l’annexion et sous celui du protectorat. À Tunis, par exemple, nous avons respecté les traités, d’abord parce que quelques-uns avaient une échéance fixe qu’il nous a paru préférable d’attendre, ensuite parce que nous avions promis de les maintenir tous tels quels. Cette promesse avait pour objet de nous assurer alors la bienveillance de l’Europe, et si elle nous a causé plus tard des difficultés assez embarrassantes, elle nous en a épargné, sur le moment, d’autres qui n’auraient pas été moindres. Le régime du protectorat n’y est pour rien, et il est même probable que, si nous avions commis la faute de proclamer l’annexion en 1880, nous nous serions crus obligés, pour la faire accepter par l’Europe, de prendre vis-à-vis d’elle des engagemens encore plus nombreux et plus stricts. Il n’est donc pas exact que l’annexion fasse table rase et supprime tous les traités antérieurs. Cela n’est vrai que des Capitulations, qui subsistent dans le système du protectorat et qui disparaissent ipso facto, dans celui de la souveraineté directe d’une grande nation civilisée ; mais le principal intérêt des Capitulations est dans la juridiction, et l’Angleterre a déjà accepté