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sont partout différentes. Le protectorat qui convient à la Tunisie n’est pas celui qui convient à l’Annam et au Tonkin, et aucun de ces derniers ne s’appliquerait exactement à Madagascar. Dans chaque pays nouveau, il faut des formes nouvelles. Nous avons pour nous éclairer au cours de cette œuvre, assurément délicate, notre expérience déjà acquise et l’exemple des deux plus grands peuples colonisateurs, l’Angleterre et Rome. Car rien n’est plus vieux que ce système grâce auquel la république romaine, respectant l’existence des rois, dont elle faisait ses cliens, a autrefois dominé l’univers. Montesquieu l’a résumé en quelques traits qu’on ne saurait trop méditer, car ils en contiennent toute la substance. « Il fallut attendre, dit-il, que toutes les nations fussent accoutumées à obéir comme libres et comme alliées avant de leur commander comme sujettes, et qu’elles eussent été se perdre peu à peu dans la république romaine. Voyez le traité qu’ils firent avec les Latins après la victoire du lac Régille : il fut un des principaux fondemens de leur puissance. On n’y trouve pas un seul mot qui puisse faire soupçonner l’empire. C’était une manière lente de conquérir : on vainquait un peuple et on se contentait de l’affaiblir... Ainsi Rome n’était pas proprement une monarchie ou une république, mais la tête du corps formé par tous les peuples du monde. Si les Espagnols, après la conquête du Mexique et du Pérou, avaient suivi ce plan, ils n’auraient pas été obligés de tout détruire pour tout conserver. C’est la folie des conquérans de vouloir donner à tous les peuples leurs lois et leurs coutumes : cela n’est bon à rien; car dans toute sorte de gouvernement on est capable d’obéir. » Et que faut-il davantage? Le gouvernement malgache, par la manière dont il s’est défendu et par celle dont il s’est soumis, a montré qu’il avait autant que tout autre les aptitudes requises pour obéir.

L’opinion, en France, a naturellement accueilli avec une joie patriotique les nouvelles venues de Tananarive. Au dehors, on a été généralement équitable à notre égard : avec des formes différentes et parfois quelques réticences, on a reconnu la valeur de notre effort la réalité de notre succès. Il serait d’ailleurs difficile de les contester aujourd’hui. La France a applaudi au courage et encore plus à l’endurance de ses soldats. Grâce à ces heureuses qualités de nos troupes, les fautes initiales ont été réparées. Il faudra bien se garder de jamais prendre pour modèle l’organisation du corps expéditionnaire, ni des services de tous les genres qui ont été mis à sa disposition pour les transports par terre et par eau; mais nous espérons que, toujours et partout, nos soldats montreront les mêmes vertus militaires et continueront de faire notre consolation et notre orgueil. Ils ont beaucoup souffert, et ne se sont pas découragés un seul moment. Le plus grand nombre d’entre eux n’étaient pourtant, ni par leur âge, ni par l’entraînement préalable, préparés aux fatigues d’une pareille campagne dans