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et je sais bien qu’on le lui a reproché. « Théorème », a dit l’un ; « syllogisme », a répondu l’autre ; « équation », a dit un troisième, qui sans doute se comprenait lui-même. Mais, tout justement, c’est le contraire qu’il eût fallu dire! On peut bien regretter que M. Paul Hervieu n’ait pas suffisamment expliqué ses personnages, et, par exemple, quand son Irène s’écrie qu’elle n’est plus à trente ans la femme qu’elle était à vingt, on aimerait que l’analyste subtil de l’Armature eût lui-même développé ce que ce cri de détresse contient de vérité profonde. Mais elle n’en est pas pour cela moins vraie ni moins vivante ; et quant aux Fergan, que le monde soit plein de ces gens qui professent que « les femmes sont nées pour faire leur devoir, qui est de donner à leur mari des enfans qui soient de leur mari, et de les élever du mieux qu’elles pourront», c’est ce qui est, hélas! incontestable, puisque c’est M. Francisque Sarcey qui l’affirme. Tel était, en d’autres temps, l’avis d’Arnolphe et de Molière


Je vous épouse, Agnès, et cent fois la journée
Vous devez bénir l’heur de votre destinée.


N’est-ce pas ce que crient tous les discours de M. Fergan? Peut-on être plus convaincu de sa souveraineté de mari? non seulement de l’étendue, mais il dirait volontiers de la « sainteté » de ses droits? Contre cette révoltée qui voudrait vivre de sa vie, à elle, se targue-t-il assez de représenter la loi, les mœurs, et la « société » ? De par son contrat de mariage, il a titre contre sa femme. Elle a promis, il faut qu’elle paie : c’est tout son raisonnement, qu’autorise le Code et qu’au besoin appuiera la gendarmerie. J’ose bien avancer que pour n’avoir pas reconnu la vérité du personnage, il faut avoir soi-même vécu dans je ne sais quel monde artificiel et livresque, dans la fréquentation habituelle du répertoire de Labiche ou de Scribe! M. Fergan est vrai, de la vérité de tels de nos contemporains que nous coudoyons tous les jours; et bien loin que M. Paul Hervieu l’ait imaginé pour la démonstration de sa « thèse», vous êtes aveugles, si vous ne voyez pas qu’au contraire sa thèse est sortie pour lui tout entière de la fréquentation des Fergan... qui pullulent!

Mais j’y songe : ce que l’on a trouvé de plus « géométrique », dans les Tenailles, ne serait-ce pas le manque d’épisodes, et cette simplicité nue d’une intrigue où l’auteur n’a rien admis qui ne tendît au dénouement ? Eh quoi ! point de « tirades », ni de « couplets », ni de mots ! de ces mots que l’on retient et que l’on s’en va répétant :


Je me nomme Michel, et quand on m’appelle Ange,
C’est qu’on veut me gratter où cela me démange.


A défaut de ces jolies choses, M. Paul Hervieu ne pouvait-il au moins « mettre en scène », comme l’on dit, les causes de la désunion