premier, il affranchit son armée de tout formalisme et de tout pédantisme ; il voulut qu’elle vécût sa vie propre, exaltée seulement et soutenue par la journalière et commune expérience du devoir. Son desideratum, — il n’a pas vieilli, — était une troupe prompte à l’exécution, intrépide devant les obstacles et contenant ces vertus martiales dans les limites que trace l’obéissance passive. « Pour atteindre cet objet, il voulait habituer le soldat aux faits de la guerre par des manœuvres du tout conformes à la réalité du combat, de sorte que le soldat arrivât à ne voir dans un véritable assaut rien autre chose qu’une simple manœuvre[1]. » Ce peu de mots contiennent déjà notre méthode actuelle, mais seulement comme le gland contient le chêne, car tous les élémens ont grandi depuis : l’importance des campagnes, le front des batailles, la profondeur des combats, la portée des canons et celle des esprits. Rien que l’emploi des armes implique aujourd’hui la connaissance de leur construction, l’intelligence de leurs propriétés, ou, comme l’a spirituellement dit l’archiduc Jean Salvator, l’ennemi mortel du drill, le tir s’est logé dans la rayure du fusil ; rien ne le fera plus déguerpir de là. Ainsi les commandemens de Souvarow ont dû croître et se multiplier pour embrasser l’ensemble d’une profession devenue plus complexe dans ses parties, plus délicate dans ses détails. Voyons-en, chez Dragomirow, le vaste développement.
Il y a vingt ans qu’il prit la plume pour indiquer quel grand changement s’opérait à l’intérieur de l’armée et pour montrer sur quelles données nouvelles se posait désormais le problème de l’éducation militaire. La réduction de la durée du service à son minimum, disait-il, entraîne pour conséquence une formation du soldat plus prompte et plus difficile ; la responsabilité de cette besogne incombe entière à l’officier. Il devient la pierre angulaire de l’armée ; tout repose sur lui, soit qu’il doive affermir dans leur rôle les cadres subalternes, ou soutenir dans leur équilibre réciproque des soldats mal cimentés entre eux ; il est enfin le seul point fixe du système, entre le terrain toujours affouillé et meuble de ses propres connaissances et l’appareil toujours incomplet de sa troupe.
Dès lors, la nécessité de son travail devient manifeste, car ce qu’il aura négligé sera négligé derrière lui, que l’omission porte sur une insignifiante pratique de propreté corporelle ou qu’elle porte sur les essentiels devoirs de la sentinelle sous les armes. Dans tous les cas, le poids de cette ignorance, exprimé par une
- ↑ Du Bocage.