Henriette Lord eut soin de les informer que leur défenseur « possède un grand front, des favoris gris, presque pas de lèvres, des petits yeux qui disparaissent presque entièrement derrière ses lunettes, un nez tout à fait septentrional dans son irrégularité ; qu’il est très sobre de gestes, et que son calme confine à la froideur. » En 1886, M. Havelock Ellis publia dans les Camelot Classics trois pièces d’Ibsen, aes Colonnes de la société, les Revenons, Un ennemi du peuple, accompagnées d’une étude d’ensemble où il passait en revue, avec une sympathie évidente pour les idées nouvelles en même temps qu’avec une extrême finesse de sens littéraire, les drames de la série sociale et psychologique. À cette série s’ajoutait en 1888 l’Ondine, et M. Gosse rentra en scène pour reprendre les choses où il les avait laissées en 1873. Arrivé alors à la pleine maturité du talent, il offrit en 1889 une analyse et un jugement sur les drames en prose qu’on peut, à certains égards, considérer comme définitifs[1].
C’est dans cette année 1889 qu’a commencé une période nouvelle pour la réputation et l’influence d’Ibsen en Angleterre. On ne se contente plus de le lire ; on s’essaie à le jouer. On le risque dans des représentations de l’après-midi, ou comme pis-aller, comme fin de saison, quand on n’a plus rien à gagner ni à perdre, dans un théâtre de second ordre qui va se fermer ou qui s’entr’ouvre ; un peu plus tard sous les auspices de l’Independent Theatre, qui est le « Théâtre libre » de Londres, mais qu’on pourrait appeler, mieux encore, le Théâtre nomade, car il n’a point de home à lui et se glisse, comme les vagabonds, dans les maisons inhabitées. On peut dire que, de 1889 à 1893, le drame ibsénien a vécu à Londres en parfait bohémien, ne sachant jamais la veille s’il dînerait ni où il coucherait le lendemain. Pourtant il y a un beau côté à cette existence précaire : c’est que la préoccupation des shillings et des pence ne s’y mêlait pas un seul instant. Les commerçans ont jugé une entreprise ou un homme quand ils ont dit qu’elle ou qu’il « ne paie pas » : or Ibsen n’a jamais « payé ». Si j’osais renverser le mot d’Irving que j’ai cité dans un précédent article, je dirais que le succès artistique était de nature d’autant plus fine et rare que l’affaire était plus mauvaise. Peu à peu s’était formée une bande d’acteurs et d’actrices qui se donnaient à cette tâche, interprétaient leur auteur avec foi, passion et courage, prêts à « confesser » Ibsen, à endurer, avec lui et pour lui, non la mort, mais les sifflets. Je citerai M. Waring et miss Robins, et surtout miss Achurch. Le public d’Ibsen se formait en même
- ↑ E. Gosse, Northern Studies, edited by Ernest Rhys ; London, Walter Scott.