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homme d’un génie singulièrement actif et audacieux, plein de vues, fort en avance sur son temps, et qui rêvait sans cesse de quelque invention nouvelle, le médecin Théophraste Renaudot. Le 30 mai 1631, il avait fait paraître le premier en date des journaux français, la Gazette, qui obtint un grand succès dès son apparition. Mais ce succès était loin de le satisfaire. La Gazette s’adressait surtout aux curieux et aux politiques et les renseignait sur les nouvelles officielles de la France et de l’étranger. Renaudot voulait entreprendre une œuvre plus utile que brillante, dont tout le monde profiterait : il créa, au milieu de Paris, un bureau d’adresses, centre d’information et de publicité, où chacun se procurerait les renseignemens dont il avait besoin. Les uns y devaient déclarer ce qu’ils avaient à vendre, pour qu’il fût facile aux autres d’y trouver ce qu’ils voulaient acheter. Mais ce n’était encore que la moitié d’une invention : on ne pouvait se renseigner au bureau d’adresses qu’à la condition de se déranger et de perdre du temps. Renaudot, qui voulait rendre le trafic aisé, eut l’idée de répandre dans Paris une feuille qui contenait le détail des objets qui étaient mis en vente, en sorte que chacun pouvait faire son choix sans sortir de chez lui. Nous n’en connaissons qu’un numéro[1], ce qui semble indiquer qu’elle n’a pas dû exister longtemps. Mais l’idée était heureuse, et quelques années plus tard elle fut reprise. Celui qui se l’appropria était un nommé Dugone, qui avait remarqué, nous dit-il, que certaines personnes, surtout les étrangers[2], trouvent beaucoup d’intérêt à lire les affiches, mais qu’en même temps c’était un plaisir que tout le monde ne pouvait pas se donner. Les gens en carrosse, par exemple, passent trop vite et regardent de trop loin pour les bien voir ; les magistrats et les ecclésiastiques sont gênés par leur robe, qui leur impose une certaine retenue ; il serait peu séant aux dames de s’approcher de trop près et de se mêler trop à la foule qui les regarde : c’est de là que vint à Dugone la pensée de les recueillir et d’en former un journal, qu’il appela, d’un nom qui lui est resté, les Petites Affiches.

Chez les Romains, l’affiche n’est jamais devenue un journal, mais elle a continué à s’étaler sur les murailles ; jusqu’à la fin de l’Empire, elle n’a pas cessé d’être leur principal moyen de

  1. J’emprunte ce détail et beaucoup d’autres à l’Histoire de la Presse de M. Hatin. Il a reproduit ce précieux numéro, et parmi les objets qui sont en vente, on remarque ceux-ci : « Un habit de drap écarlate, qui n’est pas encore achevé, doublé de satin de même couleur, avec un galon d’argent ; on le laisserait à 18 écus ; » — Une maison au quartier du Pont-Neuf, avec sept chambres à coucher pour 1 200 livres ; — Des lits à pentes de serge, des colliers, des pendans d’oreille ; — enfin : « Un jeune dromadaire à prix raisonnable, » — ce qui n’est pas une marchandise courante.
  2. Molière appelle les Allemands « de grands inspecteurs d’affiches. »