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pour prendre avec elle, durant son sommeil, les diverses attitudes qui accompagnent les cérémonies du mariage.

C’est encore la suggestion qui fait les frais du Spectre fiancé. Maurice, le fiancé d’Angélique, a disparu pendant la campagne de France. A la surprise générale, Angélique, qui l’adorait, l’oublie du jour au lendemain, et se dispose à épouser un certain comte italien qui lui avait toujours inspiré de la répugnance et même de l’effroi. Sa mère, choquée de sa légèreté, lui dit le matin du mariage : « Il reste incompréhensible pour moi que tu aies si promptement oublié Maurice. — Jamais, répond Angélique, je n’oublierai Maurice ! Le sentiment que je ressens pour le comte est bien différent !… Non, je ne l’aime pas, je ne puis l’aimer comme j’aimais Maurice ; mais c’est comme si je ne pouvais pas vivre sans le comte, comme si je ne pouvais penser, sentir que par lui ! Un esprit invisible me dit sans relâche que je dois devenir sa femme, que sans lui il n’est plus d’existence pour moi. J’obéis à cette voix qui semble la parole mystérieuse du destin. » Le comte italien est frappé d’apoplexie au moment de se rendre à l’église. Il se découvre alors qu’on avait eu affaire à un grand « magnétiseur », qui employait sa puissance « à capter les forces psychiques. » Angélique avait été la victime de suggestions répétées à plusieurs reprises pendant le sommeil.

Les revenans ont aussi de chauds partisans, à l’époque actuelle, parmi d’honnêtes gens dont plusieurs sont docteurs. Hoffmann a largement usé des fantômes et des bruits mystérieux entendus de toute éternité dans les maisons hantées. Il croyait aux fantômes avec la certitude d’un halluciné, et ce n’est même pas intéressant à suivre dans ses contes. C’est la partie banale et usée de son fantastique. Il suffira d’avoir constaté qu’ici encore, il n’est point sorti du monde occulte que plusieurs tâchent à faire rentrer dans le monde réel. De quelque côté qu’on l’envisage, Hoffmann n’a donc jamais dépassé, quand il faisait œuvre d’artiste, les limites où s’arrête le possible pour les imaginations mystiques, comme il y en a eu dans tous les temps et comme il y en aura toujours. Il donnait satisfaction à un besoin de l’esprit humain, sans exiger de son lecteur un trop grand effort de crédulité.

De là son succès. Si la science a favorisé la renaissance du fantastique en lui suggérant des thèmes nouveaux, moins grossiers que les anciens, le matérialisme, que la science amène après soi, a avivé le besoin d’un à-côté, à défaut d’un au-delà, et il a disposé les âmes éprises de rêve à aimer les Hoffmann