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pas été de longue durée. Aux premiers mots qui l’ont décelée, il a saisi son assiette et son couvert, et s’est enfui à toutes jambes à l’autre bout de la table. Pour lui, une femme auteur était un monstre : « Elles appartiennent, disait-il, à l’hospice des Incurables, au moins passé vingt-cinq ans. » Il ajoutait : « Quant à vos femmes intellectuelles, qui pérorent sur toutes sortes de sujets savans sans y rien entendre, je les hais à la mort. »

Je ne voudrais pas qu’on crût qu’il était mieux élevé avec les hommes, de peur de tourner toutes les femmes contre lui. Il n’y avait pas d’impertinences qu’il ne se permît avec eux, sous prétexte que le monde avait été une déception, qu’il s’y ennuyait « abominablement » et qu’il était incapable de supporter l’ennui. Les soirées données en son honneur, pour le produire et s’en parer, étaient marquées par des séries de déconvenues. On avait promis aux invités un causeur éblouissant, doublé d’un original. Ils arrivaient la bouche en cœur, et le premier coup d’œil était réellement intéressant. Hoffmann avait l’air plus fantastique que ses propres personnages, tant il était immatériel d’aspect et voltigeant. On s’empressait pour entendre ce farfadet : Hoffmann se mettait à faire l’imbécile et à débiter des balourdises. Ou bien il faisait le pitre et lançait à la ronde d’ineptes facéties, avec une espèce de fureur, à la noble compagnie. Ou bien il inventait une mystification qui mettait la maison sens dessus dessous. Ou bien il s’arrangeait pour qu’il se produisît un charivari au moment où la musique commençait. Ou bien il jouait quelque mauvais tour à une personne considérable. Il n’y avait plus de sécurité pour aucun des invités, et quiconque essayait de l’amadouer recevait une bordée de mots piquans. C’était un farfadet enragé.

Il savait bien qu’il avait de très mauvaises manières : « Comment se fait-il, écrivait-il, qu’il y ait de grands poètes, de grands philosophes, pleins d’esprit du reste et connaissant la vie, qui ne sachent absolument pas comment s’en tirer dans ce qu’on est convenu d’appeler le monde distingué ? Ils sont toujours à l’endroit où il ne faudrait pas être. Ils parlent quand ils devraient se taire, et se taisent quand ils devraient parler. Ils sont toujours à rebours des usages reçus, froissent les autres et sont froissés. En un mot, ils ressemblent à un individu qui remonterait à grands coups de coude un courant de promeneurs paisibles. Je sais qu’on l’attribue à ce qu’ils n’ont pas l’habitude du monde, qui ne se prend pas devant sa table de travail ; mais ce n’est pas difficile à acquérir ; il faut qu’il y ait une autre raison à cette incapacité dont rien ne triomphe. » Quatre pages plus loin, Hoffmann se donnait à lui-même la réponse : « Je