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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/350

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des bouchons et que tous les amis de Hoffmann connaissaient, et il l’avait roulé dans la fenêtre d’angle, d’où l’on découvrait la place du marché et son fourmillement. Le paralytique regardait la foule. Il faisait des conjectures sur les passans, leur état social, leur caractère, leurs idées, leur histoire, et se donnait ainsi l’illusion de mettre « son honorable cadavre » en communication avec la vie. D’après son ordre, on avait fixé sur un paravent, à portée de sa vue, une feuille de papier sur laquelle étaient tracés ces mots : Et si maie nunc, non olim sic erit ! Et si cela va mal maintenant, cela ira mieux un jour. « Pauvre cousin ! » conclut Hoffmann.

Triste loque humaine, si piteuse à voir parce qu’elle avait quelque chose de risible à force d’être réduite à rien, fripée, recroquevillée, lamentable. La servante portait Hoffmann dans ses bras comme un enfant au berceau. Il trouvait cela très drôle, car il trouva tout drôle, jusqu’à la fin. Il était de ceux qui sont incapables d’être sérieux, même devant la souffrance, ce qui est très beau ; même devant la mort, ce qui est un grand malheur.

Hoffmann acheva de mourir le 25 juin 1822. Peu s’en fallut que ce ne fût au milieu d’une phrase : il venait de demander à sa femme de lui relire le passage où il en était resté. Quand il n’avait pas bu, ses facultés avaient peu baissé, quoi qu’il en dise dans la Fenêtre d’angle du cousin. Les contes dictés de son fauteuil ou de son lit, depuis qu’il n’allait plus au cabaret, valent mieux que ceux des années précédentes, comme pour narguer la médecine, qui prédit la ruine intellectuelle aux alcooliques saisis par la paralysie. Le pauvre Hoffmann aurait été content s’il avait su que, même en mourant, il se moquait encore de quelqu’un et de quelque chose.

Il avait occupé une grande place dans la littérature allemande de son temps, si l’on mesure le succès au nombre des lecteurs plutôt qu’à leur qualité. « Les véritables penseurs et les natures poétiques ne voulurent pas entendre parler de lui, » dit Henri Heine, dont on n’a pas oublié le mot cruel : « Sa poésie est une maladie. » Gœthe non plus ne l’aimait point. « Quel est, disait-il en 1827, l’ami sincère de la culture nationale qui ait pu voir sans tristesse l’influence exercée en Allemagne, pendant bien des années, par les œuvres morbides de ce malade, et l’inoculation aux esprits sains d’imaginations aussi fausses, présentées comme des nouveautés ayant de l’importance ? »

Les romantiques étaient partagés, variaient dans leurs jugemens. L’homme privé les gênait ; il ne pouvait pas leur être agréable que Hoffmann jouât au naturel le rôle de l’ilote ivre