parfois, leur implacabilité, reproduisent tous les traits des Cortez et des Pizarre et dotent leur patrie d’empires dix fois grands comme elle.
Ce ne sont pas seulement les Européens qui obéissent à ce que M. de Bismarck appelait furor colonialis, la folie coloniale ; divers symptômes indiquent que les Américains eux-mêmes et tout au moins une des races asiatiques, les Japonais, commencent à céder à la même passion. Il fut question récemment de la prise de possession de l’archipel Hawaï par le gouvernement de Washington, et dans ces îles situées à six jours de distance de San Francisco, les plus opposés à cette annexion américaine sont les Japonais, qui y forment une colonie de vingt-quatre mille Ames sur environ quatre-vingt-dix mille habitans et y constituent le groupe de population le plus nombreux après les indigènes. L’Europe doit s’attendre à voir les Japonais élever des prétentions colonisatrices ; leur annexion de l’île de Formose, qui inquiète les Espagnols pour les Philippines, situées dans le voisinage, pourrait n’être qu’un prélude. Ce peuple de plus de quarante millions d’habitans sur un territoire de trois cent. soixante-dix mille kilomètres carrés, dont la moitié septentrionale n’est que médiocrement habitable et exploitable, nourrit l’ambition d’être une Angleterre orientale. Puisqu’on l’exclut du continent, il cherchera à se rejeter sur les îles, petites ou grandes, du Pacifique. Si l’Europe ne se fortifie dans ces contrées, il serait possible qu’il jetât son dévolu sur les archipels encore sans maîtres, peut-être même sur quelque partie négligée de grande île, comme la Nouvelle-Guinée : le groupe de vingt-cinq mille âmes de population japonaise qui s’est constitué dans l’archipel Hawaï avant les grands succès récens de l’Empire du Soleil Levant est un avertissement pour les puissances occidentales.
Cette furor colonialis est-elle si déraisonnable ? Au lieu de s’égorger, comme les peuples européens n’ont cessé de le faire durant trois siècles, pour quelques bicoques situées sur leurs frontières, est-il si absurde qu’ils s’efforcent d’acquérir, avec de bien moindres sacrifices d’hommes et d’argent, des domaines énormes dans d’autres parties du monde ? De froids calculateurs s’étonnent et s’irritent de cette ardeur à revendiquer et à prendre des territoires tellement immenses qu’il faudra des décades d’années, sinon des siècles, pour les mettre en valeur. Pourquoi ne pas procéder progressivement ? disent-ils, pourquoi accumuler colonies sur colonies ? Ne vaudrait-il pas mieux attendre que les plus anciennes fussent mises en valeur et devenues productrices,