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transformer ces vigoureuses et exubérantes natures, débordantes d’énergie et aussi parfois de cupidité, en des sortes de modestes pionniers, de pédagogues d’exportation, de comptables méticuleux, en vérité c’est une conception des plus enfantines et des plus ridicules.

Que la race des Pizarre, des Cortez, des Raleigh, se continue dans les grands héros colonisateurs du XIXe siècle, avec leurs belles qualités d’audace, d’esprit de suite, de persévérance, et leurs inévitables défauts, ressorts et moteurs de leurs qualités, la recherche âpre surtout et inassouvie des biens de ce monde et des richesses, un exemple récent et éclatant le démontre. Le compte rendu de l’assemblée générale d’une société financière, la Consolidated Goldfields of South Africa, est venu nous apprendre, ces jours derniers, la part de lion que sait se ménager dans les entreprises de finances le grand homme de l’Afrique du Sud, celui que l’on a appelé le Napoléon africain, M. Cecil Rhodes, qui, maître Jacques colossal, se trouve être à la fois premier ministre de la colonie du Cap, président de la compagnie à charte de l’Afrique du Sud, la célèbre Chartered, administrateur-directeur de la Consolidated Goldfields of South Africa, compagnie des mines d’or consolidées de l’Afrique méridionale, de la société de diamans De Beers et de nombre d’autres peut-être qui m’échappent. Un cumul si étrange de fonctions publiques et de fonctions privées choquerait, certes, et non sans quelque raison, le public français. Mais ce qui étonnerait bien plus nos législateurs, c’est que la seule Consolidated Goldfields, pour l’année qui vient de se clore, ayant réalisé un bénéfice net, dans un exercice exceptionnel il est vrai, de un million neuf cent soixante-dix mille sept cent quarante et une livres sterling, dix-neuf shellings, sept deniers, c’est-à-dire de cinquante millions de francs en chiffres ronds, la participation allouée aux deux directeurs généraux (managing directors), MM. Cecil Rhodes et C. Rudd, à raison de deux quinzièmes des bénéfices, monte pour cette seule année à trois cent trente-trois mille cinq cent trente-deux livres sterling, huit shellings, cinq pence, soit huit millions cent mille francs en chiffres ronds. Ainsi le premier ministre du Cap, le président de la Compagnie Britannique de l’Afrique du Sud, le Napoléon africain, reçoit en une seule année plus de quatre millions de francs pour sa part dans les bénéfices de la Consolidated Goldfields ; mais il est aussi un des managing directors de la célèbre Compagnie de diamans De Beers ; ils sont trois là, si nous ne nous trompons, au lieu de deux ; j’ai sous les yeux le chiffre des bénéfices de la compagnie De Beers