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plète ; et un examen parallèle des deux théâtres démontre nettement l’action morale que, d’une manière continue, l’un exerça sur l’autre.

Avec le Gendre de M. Poirier et Ceinture dorée, l’ex-disciple de Ponsard débuta dans la comédie de mœurs : début timide et circonspect sans doute, comédies de mœurs bien adoucies et dont on peut se demander pourquoi elles eurent un sort plus noble que de grands vaudevilles en trois ou quatre actes. Elles marquaient, en tout cas, un changement d’orientation générale intéressant vers une nouvelle littérature dramatique et indiquaient que l’exemple donné par M. Alexandre Dumas fils n’était pas demeuré stérile.

Seulement, en même temps que la Dame aux Camélias révélait à Émile Augier sa seconde manière, elle devait le froisser gravement dans plusieurs de ses convictions intimes. Nous étudierons plus tard sa conception de la courtisane. Dès maintenant, par l’Aventurière, par Gabrielle surtout, nous sommes édifiés sur ses sentimens en ce qui concerne les amours irrégulières ou illégitimes. À la triste et douloureuse histoire de Marguerite Gautier, il répondit par l’histoire odieuse et cynique d’Olympe Taverny. Cette satire de la fille entretenue, lourdement chargée et poussée au noir, ne plut pas au public ; elle a pourtant des admirateurs qui ont tenté d’expliquer son échec par la belle, mais trop brutale audace du dénouement ; ils oublient que ce dénouement n’était pas une innovation, et que, deux ans plus tôt, le pistolet dont se sert le marquis de Puygiron pour exécuter Olympe avait déjà servi dans Diane de Lys ; l’unique différence consistait en ce qu’il tuait un homme au lieu d’une femme. Pour cet infime détail, comme en tant d’autres occasions, le maître du Demi-Monde avait ouvert la voie.

Après un retour vers la tragédie bourgeoise, son rival continua à le suivre à distance. Dans les Lionnes pauvres, il passa à côté d’un chef-d’œuvre ; le sujet était si puissant que, même à l’état d’ébauche, il n’en demeure pas moins un des plus dignes d’attention en ce théâtre dont la portée philosophique est si courte. Il vaut qu’on le mentionne à côté des comédies politico-sociales qui vont se succéder de 1860 à 1870, même un peu au delà, et en qui nous semblent contenus les meilleurs titres de gloire de l’écrivain. Encore serait-il bon de reconnaître que, s’il a assez curieusement observé en moraliste la question d’argent et le rôle de plus en plus tyrannique des grands remueurs d’argent dans le monde moderne, l’initiative de cette observation ne lui appartient pas plus qu’aucune autre espèce d’initiative. Dès 1857,