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REVUE LITTÉRAIRE

LA FAMILLE DE MONTAIGNE

Il y a de très grands écrivains, qu’on a lus, qu’on ne cesse pas d’admirer, auxquels on revient à l’occasion, dont on commente la pensée quand le moment s’en présente, mais dont l’œuvre vous reste comme extérieure. D’autres, qui peut-être ont moins de puissance, ont un charme qui s’insinue, en sorte que désormais et pour toujours on sent leur pensée vivre au plus intime de soi. Montaigne est l’un de ces charmeurs, et le premier d’eux tous. Pour s’être une fois prêté à la séduction de son esprit, on en devient le prisonnier. Parmi ces fidèles qu’il a captivés, on compte peu de femmes ; car pour être aimé des femmes il ne suffit pas d’en avoir médit : il y faut encore la manière. Les jeunes gens non plus ne fréquentent guère chez lui. Mais ceux qui sont engagés déjà sur l’autre versant de la vie, qui ont éprouvé la vanité de beaucoup de choses et ne veulent plus être dupes, qui s’approchent du terme sans illusions comme sans colère, sans appréhension tragique et sans un attachement assez ferme aux suprêmes espérances, ceux-là trouvent dans la sagesse de l’auteur des Essais le modèle dont leurs yeux ne se détournent plus. Nous trouvons un témoignage de cette sorte d’attrait dans le livre que M. Stapfer vient de publier sous ce titre : la Famille et les amis de Montaigne[1]. S’étant fait, voilà deux ans, le biographe de Montaigne, M. Stapfer n’a pu se résoudre à prendre congé de lui. Faute de pouvoir s’éloigner définitivement du sujet, il a trouvé ce biais d’y revenir dans des « causeries

  1. La Famille et les amis de Montaigne, par M. Paul Stapfer. 1 vol. in-12, chez Hachette. - Cf., pour le texte de Montaigne, l’édition Courbet et Royer, 4 vol. in-8o, chez Lemerre.