Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais combien plus attirante encore la personne du dévot poète ! Né à Londres en 1612, d’une famille puritaine, il avait dès sa jeunesse cherché autour de lui une foi plus artistique, mieux appropriée à son besoin naturel de couleur et de poésie. C’est ainsi qu’il fit quelque temps partie de la pieuse communauté protestante fondée à Gidding par Nicolas Ferrar. Mais un jour le protestantisme, même sous cette forme mystique, ne lui suffit plus. Peut-être aussi, comme le suppose M. Gosse, ne put-il pas se résigner à voir disparaître la hiérarchie et le formalisme de l’Église d’Angleterre ; et peut-être est-ce la peur de l’anarchie religieuse qui le poussa dans le sein de l’Église romaine ? Toujours est-il qu’en 1643, au début de la guerre civile, nous le trouvons définitivement converti au catholicisme.

En 1646, il s’enfuit en France, d’où la reine Henriette-Marie l’envoie à Rome, avec une mission auprès du cardinal Pallotta. C’est une vie nouvelle qui s’ouvre pour le jeune mystique. Attaché, avec un bénéfice, à la Basilique de Notre-Dame de Lorette, il renonce lui aussi, comme avait fait Herrick, aux vaines agitations de la poésie : mais c’est pour se perdre désormais tout entier dans des visions pieuses, pour goûter enfin librement l’extase depuis si longtemps désirée. Vivre là, dans la maison même de Jésus, respirer tout le long du jour l’odeur de l’encens, entendre les chants des prêtres et des enfans de chœur ; et pouvoir contempler de ses yeux le portrait de la Vierge, toucher de ses mains le manteau sacré ! Hélas, le rêve était trop beau, et c’était trop de bonheur pour le pauvre Crashaw. Il mourut à trente-sept ans, en août 1649, quelques jours à peine après son arrivée à Lorette. Son ami Abraham Cowley composa en son honneur une belle élégie, où il lui promettait, en échange de sa courte vie, une gloire immortelle.


Abraham Cowley était lui-même un personnage curieux ; et non moins curieuse sa rivale et amie, cette Incomparable Orinda — de son vrai nom Mrs Catherine Philips — dont les vers ont été longtemps célèbres à l’égal des siens. Il y aurait aussi bien des détails à noter dans la belle étude consacrée par M. Gosse à la vie et aux ouvrages de Thomas Otway, dont la Venise sauvée vient d’être jouée, l’autre semaine, au théâtre de l’Œuvre. Mais forcés que nous sommes de choisir, entre tant de figures diverses, nous nous arrêterons de préférence à celle d’un des poètes les moins connus de la fin du XVIIe siècle ; plus remarquable à dire vrai par la singularité de son caractère que par la beauté de ses ouvrages, mais qui n’en gardent pas moins la gloire d’avoir le premier introduit en Angleterre le genre illustré après lui par les Wycherley, les Congreve et les Sheridan.

Né à Londres en 1634, Etheredge paraît avoir, de très bonne heure, émigré en France, d’où il n’est revenu à Londres qu’en 1664, pour