il y en a même eu qui ont représenté le sultan auprès des puissances étrangères, et personne n’a jamais vu là une diminution de sa souveraineté politique ou religieuse. En serait-il de même si une commission de contrôle, sous prétexte de surveiller l’administration ottomane, la dominait réellement et l’absorbait ? C’est mal connaître le sultan que de le croire capable de donner la préférence à une solution de ce genre. Aussi ne l’a-t-il pas fait, et lord Salisbury parait avoir supporté assez allègrement l’échec de son alternative. Celle-ci n’a eu qu’un inconvénient, à la vérité des plus regrettables, à savoir de faire perdre un temps précieux, et de permettre aux massacres de Constantinople de se produire.
La proposition, ou suggestion de lord Salisbury a donc été assez malencontreuse, mais elle appartient déjà au passé, et le présent seul nous intéresse. Le sultan a cédé ; il a accordé tout ce qu’on lui demandait. Ne semble-t-il pas, dès lors, que les puissances auraient dû mettre leur point d’honneur à décourager toute tentative nouvelle de la part des Arméniens, et à leur faire comprendre qu’on avait beaucoup fait en leur faveur, assez pour une fois, assez pour longtemps ? Le langage de lord Salisbury est-il propre à leur donner cette impression ? Y ont-ils trouvé ces avertissemens graves dont ils avaient certainement besoin pour rentrer enfin dans le calme, et pour laisser l’Europe s’y reposer elle-même pendant quelque temps ? Point du tout. Il n’y a pas un seul mot, dans le discours, à l’adresse des Arméniens ; en revanche, il y en a beaucoup à l’adresse du sultan. Lui seul est rendu responsable de tous les maux de son empire, comme s’il pouvait, quand il le voudrait avec une énergie sans égale, échapper lui-même et soustraire du jour au lendemain ses sujets au poids qu’un long atavisme fait peser sur leurs têtes. La thèse de lord Salisbury est que le sultan peut tout. Ce souverain des Mille et une Nuits n’a qu’à dire un mot pour changer autour de lui les choses et les hommes. Que ne prononce-t-il ce mot féerique ? S’il ne le fait pas, il encourt une responsabilité redoutable. Il est dans l’ordre de la nature et dans la volonté de la Providence que tout gouvernement mal dirigé succombe, et « que l’injustice conduise à leur perte les plus élevés de la terre ». Nul ne peut échapper à cette fatalité. Les peuples qui souffrent et qui gémissent ont tout à espérer, car leurs souffrances seront réparées et leurs gémissemens entendus. Celui qui les opprime sera puni. En vérité, pendant que lord Salisbury tenait ce langage tout biblique, ses auditeurs n’auraient pas été très étonnés de voir une main sortir de la muraille et y écrire les mots fatidiques : Mane, Thecel, Pharès ! « Tant que l’empire ottoman sera debout, » disait lord Salisbury. « Si l’Empire ottoman venait à tomber, » ajoutait-il, et à chaque mot les pires hypothèses se dressaient devant les esprits.
Il faut reconnaître, et nous nous empressons de le faire, que lord