Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais empêché, quoi qu’on en ait pu dire, d’être, quand il l’a fallu, le juge aussi de ses clients ! Son œuvre entière est comme animée du combat de sa justice contre son émotion ; et à force d’empire sur lui-même et d’effort vers la vérité, le plus passionné peut-être de nos grands historiens en est devenu le plus impartial. Je ne craindrai pas d’ajouter que le plus « pittoresque » ou le plus « artiste » en a été le plus « philosophe » ; et si l’antiquité même, si le conteur bavard et exquis des guerres médiques ne nous a rien légué de plus naïvement coloré que les Récits des temps mérovingiens, ou l’annaliste Romain rien de plus énergique en sa concision que l’Histoire de Jacques Bonhomme, je ne vois pas que personne, depuis quatre-vingts ans, ait répandu sur la philosophie de l’histoire plus d’idées ni de plus neuves qu’Augustin Thierry.

C’est ce qu’il m’a paru, Messieurs, que l’occasion de son centenaire me faisait un devoir d’essayer de vous montrer, ou plutôt de vous rappeler. Et, ainsi qu’il convient en ce genre de commémoration, je m’efforcerai d’être bref ; mais si vous me trouviez cependant un peu long, vous songerez qu’il m’arrive de représenter aujourd’hui, par une rencontre qui est pour moi comme un quadruple honneur, l’Académie française, dont vous savez assez pour quelles raisons il n’a point fait partie ; l’École normale supérieure, dont il fut l’une des « gloires » ; un recueil qui s’honore de l’avoir compté parmi ses premiers et ses plus brillants collaborateurs[1] ; et enfin, — puisque c’est le fils de son frère qui m’a demandé le premier de prendre la parole, — sa famille ou un peu de sa famille elle-même.

Je ne vous raconterai point sa naissance modeste, sa jeunesse obscure, ses laborieux débuts[2]… Mais si nos vrais maîtres sont ceux qui nous éclairent sur nos vraies aptitudes, comment me dispenserais-je de vous rappeler l’influence qu’exercèrent sur Augustin Thierry deux hommes entre tous : le poète inspiré d’Atala, de René, des Martyrs ; et le grand romancier d’Ivanhoe, de Rob Roy, des Puritains d’Écosse ? On s’est donné de nos jours des airs de les dédaigner ! Mais on n’a point diminué ni seulement entamé leur gloire, et il est possible que l’on ne les lise plus, mais il est certain qu’on a tort. « Pharamond ! Pharamond ! nous avons combattu avec l’épée !… » Vous connaissez, Messieurs,

  1. C’est en effet ici même qu’ont paru les Récits des Temps mérovingiens, voilà bien des années !
  2. On pourra consulter, sur ces différens points, une intéressante conférence de M. Bar, professeur au collège de Blois, dans le Bulletin de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher ; et une étude de M. F. Valentin : Augustin Thierry, dans la collection Lecène et Oudin.