progrès des masses populaires vers la liberté et le bien-être nous semblerait plus imposant que la marche des faiseurs de conquêtes, et leurs misères plus touchantes que celles des rois dépossédés.
Il y a bien, Messieurs, quelque exagération dans cette page, de l’âpreté, de l’amertume ; et on la sent contemporaine des terribles pamphlets d’un autre Tourangeau, le « vigneron de la Chavonnière ». Mais elle contient une idée généreuse et juste, une idée toute nouvelle en 1820, qui est celle du droit des peuples ou des « collectivités » à avoir une histoire ; et c’est ainsi qu’Augustin Thierry doit peut-être à son éducation saint-simonienne d’avoir été non seulement le plus « démocratique » de nos grands historiens, mais le plus « socialiste »… Je me sers tout exprès de ce mot, qu’il serait temps enfin d’enlever à ceux qui en abusent ; qui en corrompent quotidiennement le sens ; et qui ne savent lui faire signifier que haine et misérable envie, quand au contraire on ne l’a justement créé que pour être l’antithèse d’individualisme et le synonyme de solidarité.
Socialiste ou démocratique, de quelque nom qu’on l’appelle, c’est vraiment cette idée qui circule dans l’œuvre entière d’Augustin Thierry. Il a voulu être l’historien des foules. Et pour l’être, il a voulu joindre, unir, et confondre ensemble deux choses que l’on sépare trop souvent.
La passion politique, — a-t-il écrit dans ses Considérations sur l’histoire de France, qui sont l’ouvrage de sa maturité, — la passion politique peut devenir un aiguillon puissant pour l’esprit de recherches et de découvertes ; si elle ferme sur de certains points l’intelligence, elle l’ouvre et l’excite sur d’autres ; elle suggère des aperçus, des divinations, parfois même des élans de génie auxquels l’étude désintéressée et le pur zèle de la vérité ne l’auraient pas conduite.
Il a raison, Messieurs, cent fois raison ! Ce n’est pas de sa propre lumière, c’est de celle du présent que le passé s’éclaire ! Pour devenir comme on l’a quelquefois et à bon droit nommé, « le siècle de l’histoire », il a fallu que notre siècle eût commencé par être « le siècle de la Révolution ! » Avant les Guizot, les Michelet, les Thierry, si la France n’a pas eu de grands historiens, c’est que nos vieux érudits avaient manqué de « l’intelligence et du sentiment des grandes transformations sociales. » L’observation est de Thierry lui-même. Mais combien n’est-elle pas plus vraie, quand, à la « passion politique », c’est-à-dire à la préoccupation du présent, on allie, comme lui, l’inquiétude et le souci de l’avenir ! quand en même temps que l’on cherche, jusque dans l’histoire des invasions germaniques « la racine de quelques-uns des maux dont souffrent nos sociétés modernes », on y porte, — c’est toujours lui qui parle, — « l’amour des hommes comme hommes,