ne saurait être maintenu ; un chiffre d’une terrible éloquence le condamne sans appel : de 74 000 récidivistes en 1880, nous sommes en 1892 arrivés à 105 380[1].
A la première question que nous avions posée : Quelles sont les affaires jugées par la Cour d’assises ? nous avons dû répondre ceci : « La Cour d’assises juge les affaires, de moins en moins nombreuses, que les parquets se croient contraints de lui déférer. »
Comment donc a pu naître une situation aussi anormale ?
Nous avons indiqué quelques-uns des mobiles qui ont conduit le ministère public aux pratiques de la correctionnalisation. Mais un système aussi général, qui a pour effet d’exproprier progressivement le magistrat populaire au profit du magistrat professionnel, doit avoir des causes plus profondes que de simples raisons de célérité ou d’économie. Il a, avant tout, une explication historique et une explication psychologique.
De 1670, de l’ordonnance de Colbert, à 1789, toute procédure criminelle, depuis son premier acte jusqu’à l’arrêt du Parlement, était secrète et confiée à des magistrats de profession. Pas de public à la Touruelle, pas d’avocat, pas de juge tiré des rangs des citoyens. A la Révolution, tout change, ou, du moins, on veut tout changer. Le citoyen va être juge, et, soit au « moment du constat » dans l’instruction préparatoire, soit au « moment du débat » devant la juridiction de jugement, le citoyen sera présent, et présent avec le public, qui le contrôlera lui-même. C’était, dans l’ordre judiciaire, un essai d’organisation du « concours civique, » de la collaboration active et personnelle de chacun à l’œuvre de la justice. Qu’on lise ces décrets, trop oubliés, de la Constituante. Ils créaient du moins une procédure rationnelle et ils avaient un idéal en vue. Le citoyen, dès le premier pas de l’information, était « adjoint » au juge. Dans l’instruction proprement dite tout était public et contradictoire. Le citoyen participait à tout ; il était
- ↑ Si l’on en croit les tableaux de la statistique officielle, et le rapport adressé le 6 avril 1895 au Parlement par les fonctionnaires du Home Office, il y a depuis vingt ans en Angleterre a marked diminution in the total of crime. Et cette décroissance-est fort bien exprimée dans le tableau suivant :
Moyenne annuelle des accusés pour chaque période de cinq ans Proportion sur 100 000 habitans 1874-78 50 044 217 1879-83 60 080 230 1884-88 57 384 208 1889-93 56 472 194