Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette fabrication transformée, un rôle considérable, on marche, pour les amortir, 24 heures par jour et 365 jours par an, du moins sur le continent.

C’est, pour beaucoup d’ouvriers, le revers de la médaille ; leur vie est coupée en tranches de douze heures, de l’adolescence à la vieillesse, sans un jour pour la famille, pour la récréation, pour mettre des vêtemens qui ne soient pas des vêtemens de travail. C’est aussi le revers de la médaille pour le fabricant, que l’excès des marchandises accable et que la crainte d’arrêter ses machines conduit à accepter des commandes à perte. Voilà ce que disent les papetiers, — et ils sont nombreux, — qui attribuent leur malaise à la surproduction. Pour y remédier par une limitation conventionnelle, un congrès international s’est réuni l’automne dernier à Anvers. Beaucoup de fabricans français y prirent part, le plus important déclina l’invitation : « En pareille matière, dit-il avec scepticisme, je ne crois qu’aux ententes que l’on fait à un. » L’événement lui donna raison. Parmi les congressistes, unanimes à déclarer qu’il fallait se restreindre, aucun ne put indiquer comment on y parviendrait. Tous craignirent d’être dupes. Quelle sanction garantissait les engagemens pris ? La mesure, excellente et irréalisable, valait la formule classique des petits oiseaux, aisément capturés par qui sait leur mettre un grain de sel sur la queue.

N’est-ce pas d’ailleurs un anachronisme que chercher le salut dans une entrave factice à la production, lorsque la pente de l’industrie contemporaine est au contraire d’atteindre son profit particulier par le développement de créations utiles à tous. Produire sans trêve, jeter dans la circulation des marchandises de plus en plus abondantes, dont l’abondance fait le bon marché et qui pénètrent ainsi dans des couches humaines où elles étaient naguère inconnues, telle semble être la loi bienfaisante à laquelle nul ne peut se soustraire. Loi bienfaisante pour la masse des petites gens ; loi désastreuse pour l’élite bourgeoise des capitalistes.

Le mal de la papeterie est nécessaire à son existence ; ou plutôt ce n’est pas la papeterie qui est malade, ce sont seulement les papetiers. Les bas prix dont ils gémissent, ils les proposent eux-mêmes. Dans une adjudication récente pour le ministère des Postes, on voit les chiffres des soumissionnaires se faire concurrence à quelques centaines de francs d’intervalle. Le prix rémunérateur pour un doit être suffisant pour tous ; car les conditions économiques des diverses usines se compensent. Les unes, voisines de Paris, où se centralisent la moitié peut-être des papiers français, auront de moindres frais de transport, mais les salaires y seront