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dans les galeries de Florence et de Rome, mais sans les perdre. Enfin il revit les Alpes et il sembla qu’il renaissait : « ce n’était pas seulement l’air des Alpes, dit M. Collingwood, mais l’esprit de l’adoration des montagnes qui le sauvait. » Il a conté lui-même, dans ses Præterita, comment une année plus tard, la contemplation de la nature le guérit. Il se trouvait un jour à Fontainebleau encore malade et fiévreux. Il se traîna dans la forêt, s’étendit au bord d’une route sous de jeunes arbres et tâcha de dormir. « Les branches d’arbres profilées sur le ciel bleu ne bougeaient pas plus que les branches d’un arbre de Jessé sur un vitrail. » Il comprit toutefois qu’il ne mourrait pas encore ce jour-là et commença, à dessiner avec soin un petit tremble qui était de l’autre côté de la route. Il trouvait, d’ailleurs, que rien à Fontainebleau ne valait la peine d’être vu. Les hideous rocks d’Evelyn ne lui paraissaient jamais assez hideux pour l’émouvoir et tout au plus bons à emporter dans sa poche, s’ils avaient valu le transport.

Et aujourd’hui, j’avais oublié les rochers, le palais et la fontaine, tout ensemble, et je me trouvais gisant sur le bord d’une route, dans le sable et sans autre point de vue que ce petit tremble contre le ciel bleu… Languissamment, mais sans paresse, je commençai à le dessiner et, comme je dessinais, ma langueur passait. De belles lignes étaient tracées sans fatigue. Elles devenaient de plus en plus belles à mesure que chacune sortait du reste et prenait sa place dans l’air. Avec une admiration croissante, à chaque instant, je vis qu’elles se composaient d’elles-mêmes d’après des lois plus belles qu’aucune de celles que connaissent les hommes. À la fin, l’arbre était là, et tout ce que j’avais pensé auparavant sur les arbres n’était plus…

Comme toutes les passions, si cet amour de la nature remplit sa vie de grandes joies, elle y ajouta aussi des tristesses inconnues à d’autres âmes. S’il n’a plus dans son horizon les corolles accoutumées de sa jeunesse, il se désole. « À peine toutes les jacinthes et les bruyères de Brantwood, écrit-il dans ses Mémoires, compensent-elles la perte de ces fleurs pour moi, et lorsque les vents d’été ont dispersé toutes les feuilles de nos roses sauvages, je pense tristement à la pourpre sombre des convolvulus qui grimpaient et florissaient encore en plein automne autour des pommiers. » Bien plus, si en retournant devant un paysage préféré, il le trouve bouleversé, défiguré par les « progrès » de la locomotion, par un port ou une voie ferrée, ou par les « embellissemens » du tourisme, une guinguette, un hôtel, il est blessé comme par un outrage à son éternellement aimée. « Oui, vous avez méprisé la nature, s’écrie-t-il en s’adressant à ses contemporains, vous avez méprisé toutes les sensations saintes et profondes de ses spectacles ! Les révolutionnaires français transformaient en étables