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chesse, et il y a peu d’années, des artistes étaient convoqués devant une commission des Pairs pour dire si telle vallée ne serait pas défigurée par un chemin de fer qu’on projetait d’y établir. Enfin la propagande ruskinienne en faveur des costumes pittoresques et des fêtes symboliques du bon vieux temps n’a pas échoué si complètement qu’on pourrait le croire. L’étranger qui passerait à Chelsea, le premier jour de mai, devant le collège de jeunes filles de Whitelands, et qui obtiendrait la permission d’entrer, verrait la chapelle et le hall couverts de fleurs, de fleurs envoyées par les anciennes élèves, de tous les points de l’Angleterre. C’est que, ce jour-là, l’on fête le retour du printemps. Les cent cinquante élèves, assemblées dans le hall, ont élu une des leurs Reine de Mai, au scrutin secret. Elle a été choisie, non pour sa beauté ni pour sa science, mais parce qu’elle s’est fait aimer. La voici qui paraît. Ses compagnes font une double haie et tendent des palmes qui forment une voûte au-dessus de sa tête, lorsqu’elle passe. Elle est couronnée de fleurs, vêtue d’une robe archaïque, dessinée par Kate Greenaway, et parée d’une croix d’or, dessinée par Burne-Jones. Derrière elle, marche la reine de l’an passé, couronnée seulement de myosotis. Puis elle monte sur son trône, et c’est au tour de ses compagnes de défiler devant elle pour la saluer et recevoir de ses mains des cadeaux qui sont les œuvres de Ruskin, magnifiquement reliées. Il semble qu’on entende toutes ces corolles assemblées murmurer les mots qui sont là, sous les feuilles de Sésame et les lis : « Que vous le sachiez ou non, vous devez toutes avoir des trônes dans bien des cœurs et une couronne qu’on ne dépose pas. Reines vous devez toujours être, reines pour vos fiancés, reines pour vos maris et vos fils ; reines d’un plus haut mystère pour le monde au-dessous de vous qui s’incline et s’inclinera toujours devant la couronne de myrte et le sceptre sans tache de la femme… C’est peu de dire d’une femme qu’elle ne détruit pas les fleurs là où elle pose le pied, il faut qu’elle les ranime ! Les campanules doivent, non s’affaisser quand elle passe, mais fleurir… » Les prix ne sont pas distribués à la suite d’un concours, car le maître a horreur des compétitions. La reine en dispose souverainement. Celle-ci aura un prix « parce qu’elle est fidèle à ses amies » ; celle-là « parce qu’elle goûte la musique » ; cette autre « parce qu’elle est toujours gaie » ; cette autre enfin « parce que la Reine l’aime bien ». Et il est particulièrement piquant, dit un témoin, de voir le sourire de reconnaissance de la Reine, lorsqu’une amie préférée passe et lui baise les mains en recevant son livre. Le matin, des chants, à la chapelle, ont précédé par des hommages au roi de l’Éternité ces hommages à une reine d’un jour. Et le soir, si celle qui a reçu