Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont faites avec un tel dédain de la bonne justice qu’un tirage au sort dans la liste électorale, de tous les systèmes le plus déraisonnable, et que nul n’entend proposer, donnerait peut-être un résultat plus satisfaisant que la sélection à rebours qui exclut aujourd’hui de la liste de certains cantons tout homme indépendant.

Le code d’instruction criminelle[1] appelle diverses réformes. Les énumérer nous entraînerait trop loin. Comment du moins ne pas signaler les pouvoirs sans frein ni responsabilité du juge d’instruction ? la nécessité de rétablir, sous une forme quelconque, le contrôle, aboli en 1856, de la Chambre du conseil ? l’urgence de restreindre le pouvoir illimité du secret ? Réfléchit-on qu’un inculpé peut être maintenu trois mois, six mois dans le secret le plus absolu sans pouvoir introduire un recours ? De tels procédés, loin d’être une force pour la magistrature, se retournent contre elle. Déjà sous l’Empire, et depuis plus de vingt-cinq ans, on agite sans cesse ces problèmes si complexes sans les résoudre.

Mais que dire du code pénal et des lacunes qui éclatent à tous les yeux ? Certains châtimens ont perdu leur efficacité et nous les conservons par routine : la peine la plus sévère, après la mort, est celle des travaux forcés qui est subie à la Nouvelle-Calédonie ; attirés par le mirage d’un séjour en lointain pays, dans un climat sain, avec les chances d’évasion de plus en plus grandes[2], les coupables souhaitent l’envoi au bagne et ne redoutent rien tant que la réclusion subie dans la maison centrale, d’où nul ne s’enfuit. Ce renversement des peines a les conséquences les plus graves ; il trouble profondément la justice pénale. Dans un temps où un courant porte le Français vers la colonisation, il faut profiter de cet attrait pour faire du séjour dans l’une de nos colonies la récompense de la bonne conduite du condamné et non le prix du crime.

L’état des prisons explique douloureusement les progrès de la récidive. A l’heure actuelle, un mécanicien, un aiguilleur condamné pour blessures par imprudence est renfermé, sauf en de rares villes, avec les pires récidivistes. Et cependant nous étudions depuis soixante-quatre ans la réforme pénitentiaire et le régime cellulaire qui fonctionne chez nos voisins !

Si des grands coupables nous passons au vagabondage, cette école primaire des criminels, nous voyons l’une des plaies les

  1. Nous ne parlons pas du code de procédure civile : on ne peut traiter ce sujet en quelques lignes. Et comment ajourner une réforme, lorsqu’en certains ressorts la vente du petit bien de mineurs, malgré la loi de 1884, absorbe, la statistique le démontre, 100 et 120 pour 100 du prix de vente ?
  2. Au commencement de septembre, le gouvernement faisait publier les noms de trente-cinq condamnés évadés depuis peu des bagnes. On sait que la plupart des Arabes condamnés ont quitté la Guyane.