Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/627

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jeune homme « d’un merveilleux agrément », ils trouvent Calandrino, au Baptistère de San-Giovanni, contemplant les peintures et les bas-reliefs de l’autel. Du marbre aux pierres, des pierres aux cailloux du Mugnone, torrent qui court de la montagne de Fiesole à l’Arno, la transition était facile. Nos trois compères affirment à Calandrino que, dans le Mugnone, il y a certains cailloux qui rendent invisible la personne qui les porte. Ils s’y rendent tous les quatre, et, quand le peintre a les poches pleines des précieuses pierres, les trois autres feignent de ne plus le voir. « Il était tout à l’heure devant nous, dit Buffalmaco, il sera allé dîner et se moque de nous », et de le lapider vigoureusement dans les jambes et dans le dos. Calandrino, trop heureux de tenir son trésor, reçoit, sans souffler mot, mille horions. Bruno, Buffalmaco et Calandrino sont des masques de Commedia dell’Arte ; ils ont les traits simples et énormes qui conviennent aux masques ; ils jouent, à la porte du théâtre de Boccace, quelques parades ; ce ne sont encore que des Florentins de carnaval.

Étudiez, du haut en bas de la péninsule, les types généraux des races italiennes, la gravité du Lombard, la délicatesse efféminée et la morbidezza du Vénitien, la face honnête et brutale du Romagnol, la noblesse fade ou la sévérité sombre du Romain, la grimace éternelle, l’agitation, les contorsions, la gaîté déraisonnable du Napolitain, l’astuce tranquille du Sicilien ; ni à Milan, ni à Venise, ni à Bologne, ni à Rome, ni à Naples, ni à Palerme vous n’aurez le plaisir esthétique que l’on goûte à Florence, à Pise, à Prato, à Fiesole, à Pistoja, à San-Giovanni. Ici, jeunes ou vieux, gens du monde, écoliers, hommes d’église, artistes, marchands, artisans, lettrés, portefaix, jusqu’aux tireurs de sable qui, jambes nues, fouillent, avec un grand geste élégant, les eaux blondes de l’Arno, ils sont tous, assurément, de race distinguée et gens d’esprit. Ils sont courtois, affables, de belle humeur, sensibles à la beauté, orgueilleux de leur ville, respectueux de ses œuvres d’art exposées en plein air, curieux de son histoire. Réunis en foule, les jours de marché, sur la place de la Seigneurie, au grand soleil, ils vont et viennent paisiblement, conversant par petits groupes, sans cris, sans querelles, et vont dîner d’un pas leste quand la vieille cloche du Palais communal sonne lentement midi. Ils font toutes choses légèrement et avec grâce. Leur douceur de mœurs est admirable. Ils sont trop éveillés pour consentir à l’indolence voluptueuse de Venise, trop fins pour imiter les façons pompeuses du Romain, trop bien élevés pour s’abandonner à l’assourdissante vocifération du Napolitain. C’est un peuple réfléchi, ironique, de conscience claire, et qui voit clairement au fond de l’âme de son prochain. Il méprise