au conteur ni un type, ni une scène originale. La satire placée dans la bouche d’Abraham, le juif de Paris, n’est formée que de traits généraux, de critiques abstraites, telles qu’il s’en rencontrait chez les écrivains ascétiques eux-mêmes, depuis Pierre Damien et saint Bernard. Le vide laissé par Rome au Décaméron a une réelle signification historique. Au temps de sainte Catherine de Sienne et des derniers pontifes d’Avignon, la pauvre ville éternelle, accablée de misères, oubliée par les pèlerins, n’était plus qu’une ruine immense, où se perdaient moins de vingt mille habitans. Les ronces croissaient sur le tombeau des Apôtres, et la vision mystique de Rome, tête du monde, Roma caput mundi, s’était retirée de la chrétienté.
Mais Boccace a vécu, dans Naples, les plus beaux jours de sa jeunesse. La vie napolitaine lui a dévoilé quelques-uns de ses secrets. Secrets de Polichinelle, à la vérité : ici, la vie populaire s’étale en plein air, le long de la Marine, au môle, sur les degrés des églises, à Santa Lucia, au beau milieu des ruelles fangeuses ; aux paroles, ou plutôt aux clameurs, aux gestes et aux contorsions des personnes, il est aisé de deviner les mœurs intimes, le train accoutumé de la maison : de l’indigence et de la fourberie, toutes les dépravations d’une servitude séculaire, une religion d’idolâtres, l’hallucination constante du bien d’autrui, un monde très remuant et très perfide, d’une gaieté un peu maladive, un peuple amusant et pittoresque, à qui a manqué seulement la visite de Callot ou de Goya. Parmi les croquis de ces deux grands observateurs de la malice humaine, on trouverait plus d’une illustration au conte suivant de Boccace.
Un jeune Pérugin, Andreuccio, courtier en chevaux, s’est rendu, pour sa première expédition loin de sa montagne, à la foire de Naples, avec cinq cents florins d’or dans sa bourse. Il entre dans la bruyante fourmilière un dimanche soir, descend à l’hôtellerie, se renseigne et, le lendemain matin, se dirige vers le marché. Il montre à tout venant sa riche sacoche et fait sottement tinter ses florins.
Une Sicilienne jeune et belle, d’humeur complaisante, suivie d’une vieille jouant les suivantes de bonne maison, passe à travers la foule, entend la sonnerie des florins, décide qu’ils tomberont dans ses mains. Le hasard veut que la vieille, de son côté, reconnaisse Andreuccio, dont elle a servi jadis le père à Palerme et à Pérouse. Elle court au jeune homme, l’embrasse, le confesse, prend un rendez-vous à l’hôtellerie, puis elle rend à la Sicilienne ses précieuses informations. Celle-ci arrête son plan d’opération, occupe la vieille et la retient au logis et dépêche à