à leurs talons. » Notre homme ne s’attarde pas davantage à son douloureux tête-à-tête avec le mort. Il sort de la cathédrale, légèrement vêtu, une bague épiscopale au doigt. Le jour approchait. Il parvient au port et, de là, retrouve heureusement le chemin de son hôtellerie. L’hôte, un Napolitain de vieille race, lui conseille de filer sans retard sur la route de Rome ; il ne demanda pas mieux que de suivre le conseil, étant rassasié des enchantemens de Naples, et trop heureux d’avoir échappé, en une seule nuit, à trois ou quatre morts diversement fâcheuses. Il rentra donc à Pérouse, riche d’expérience, rapportant non pas des chevaux, mais le rubis de l’archevêque.
Nous voici bien loin de la douceur et de l’ironie florentines. Ce conte est comique, non par l’esprit de finesse des personnages, gens de sac et de corde, mais par l’accumulation d’infortunes grotesques qui pleuvent sur l’enfant de Pérouse. C’est bien de l’art napolitain, une peinture chargée de couleurs crues, faites pour la lumière brûlante, une musique coupée de notes aigres et railleuses. Au petit théâtre populaire de San Carlino, la pièce, dominée et réglée par Polichinelle, se trouverait dans son cadre naturel, en présence de son vrai public. Mais l’on sait que les coups de bâton de cet idéal Napolitain sont parfois mortels. À Naples et sur les bords de la mer de Sicile, en vue de l’île azurée de Caprée, Boccace avait respiré l’air d’une des régions les plus tragiques du monde. Il put voir un jour, en 1343, le cadavre d’André de Hongrie, égorgé par l’amant de sa femme, la reine Jeanne, petite-fille du roi Robert d’Anjou. On lui conta là-bas bien des histoires d’amour où le crime se mêlait à la volupté, où la vendetta scélérate gâtait les fêtes les plus joyeuses. C’est à Naples, et non point à Florence, qu’il puisa l’inspiration des plus sombres drames du Décaméron.