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s’abstenir ; il n’en fit rien et résolut, au contraire, de souligner combien il était scandaleux de mettre en quelque sorte sous la protection de la femme légitime, par la pièce finale à elle adressée, un livre tout imprégné de la passion la plus vive pour la maîtresse. Il écrivit alors et fit paraître un article, véritable modèle de louange circonspecte et de critique acerbe, où il multipliait les restrictions sur le développement du génie poétique d’Hugo, qui lui avait proclamé si haut ses étonnantes facultés créatrices dans an précédent compte rendu des Feuilles d’Automne. Il y avait déjà quatre ans de cela et l’admiration du critique avait diminué en même temps que l’estime de l’ami. Il s’agissait d’ailleurs pour lui d’aboutir à ce paragraphe, où l’allusion est à peine voilée et porte à chaque coup :

«… Les douze ou treize pièces amoureuses, élégiaques, qui forment le milieu du recueil dans sa partie la plus vraie et la plus sincère sont suivies de deux ou trois autres, et surtout d’une dernière, intitulée Date lilia, qui a pour but, en quelque sorte, de couronner le volume et de le protéger. Littérairement, ces pièces finales, prises en elles-mêmes, sont belles, harmonieuses, pleines de détails qui peuvent sembler touchans. En admirant dans le voile l’éclat du tissu, il nous a paru toutefois qu’il y a eu parti pris de le broder de cette façon pour l’étendre ensuite sur le tout. Cette mythologie d’anges, qui a succédé à celle des nymphes, les fleurs de la terre et les parfums des cieux, un excès même de charité aumônière et de petits orphelins évoqués, tout cela nous a paru, dans ces pièces, plus prodigué qu’un juste sentiment de poésie domestique n’eût songé à le faire. On dirait qu’en finissant l’auteur a voulu jeter une poignée de lis aux yeux. Nous regrettons que l’auteur ait cru ce soin nécessaire. L’unité de son volume en souffre ; son titre de Chants du Crépuscule n’allait pas jusqu’à réclamer cette dualité. Le même manque de tact littéraire (au milieu de tant d’éclat et de puissance !) qui plus haut, nous l’avons vu, lui a fait comparer l’harmonie de l’orgue à l’eau d’une éponge et parler du sourire fatal de la résignation à propos de Pétrarque, lui a inspiré d’introduire dans la composition de son volume deux couleurs qui se heurtent, deux encens qui se repoussent. Il n’a pas vu que l’impression de tous serait qu’un objet respecté eût été mieux honoré et loué par une omission entière. »

Cet article jeta Victor Hugo dans une violente colère, et un duel faillit s’ensuivre entre le critique et le poète. Celui-ci ne tarissait pas sur la défection de Sainte-Beuve, et contait partout ses griefs contre celui qui osait bien dire que les Chants du Crépuscule