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Je reviens à Juliette. Elle était, paraît-il, d’une beauté accomplie, et Gautier a tracé d’elle, dans l’ancien Figaro, un brillant portrait qui finissait ainsi : « Le col, les épaules, les bras sont d’une perfection tout antique chez mademoiselle Juliette ; elle pourrait inspirer dignement les sculpteurs, et être admise au concours de beauté avec les jeunes Athéniennes qui laissaient tomber leurs voiles devant Praxitèle méditant sa Vénus. » Sa principale création fut la princesse Negroni, de Lucrèce Borgia, et Théophile assure qu’elle y jeta « le plus vif rayonnement ». Hugo, de son côté, termine ainsi ses remerciemens aux acteurs : « Certains personnages du second ordre sont représentés à la Porte-Saint-Martin par des acteurs qui sont du premier ordre et qui se tiennent avec une grâce, une loyauté et un goût parfaits dans le demi-jour de leurs rôles. L’auteur les en remercie ici. Parmi ceux-ci, le public a vivement distingué mademoiselle Juliette. On ne peut guère dire que la princesse Negroni soit un rôle : c’est, en quelque sorte, une apparition. C’est une figure belle, jeune et fatale, qui passe, soulevant aussi son coin du voile sombre qui couvre l’Italie au seizième siècle. Mademoiselle Juliette a jeté sur cette figure un éclat extraordinaire. Elle n’avait que peu de mots à dire, elle y a mis beaucoup de pensée. Il ne faut à cette jeune actrice qu’une occasion pour révéler puissamment au public un talent plein d’âme, de passion et de vérité.

Quelques mois après, Hugo confiait à Mlle Juliette le rôle important de Jane dans Marie Tudor ; mais cette fois la comédienne fut tellement inférieure à sa tâche qu’elle dut, sous prétexte d’indisposition, céder le personnage à Mlle Ida, et cela dès le second soir : « L’actrice qui remplissait le rôle de Jane, écrit méchamment la Revue de Paris, l’a cédé, ce qui l’a beaucoup indisposée, à Mlle Ida… » Mais l’auteur consola sa bien-aimée de cette déconvenue en proclamant pour les âges futurs « qu’elle avait montré dans ce rôle un talent plein d’avenir, un talent souple, gracieux, vrai, tout à la fois pathétique et charmant, intelligent et naïf. »

C’est à cette époque, ou peu s’en faut, que se rapportent les