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Salisbury tint officiellement un langage comminatoire comme le Commandeur des croyans n’en a pas souvent entendu.

Dès le commencement de septembre, les ambassadeurs, las d’attendre, sommaient la Porte d’aboutir. Il s’agissait de choisir entre le premier projet, de réformes, qui instituait une sorte de dualisme administratif et d’État dans l’Etat au bénéfice des chrétiens d’Arménie et l’amendement proposé par lord Salisbury, qui mettait la garantie principale du nouveau système dans le contrôle direct des puissances. Mieux encore que cet ultimatum, l’explosion d’une sorte de guerre civile dans sa capitale vint forcer la main au sultan. Le 30 septembre vit se produire une manifestation peut-être imprudente des Arméniens de Constantinople. Les Turcs, spontanément ou non, se ruèrent sur eux. Pendant trois jours les rues, les maisons particulières, les boutiques, les maisons même de Stamboul furent le théâtre de conflits sanglans et de meurtres de sang-froid. Affolée, la population arménienne se réfugia en masse dans sa cathédrale et ses églises. L’inquiétude était à son comble. On craignait même pour les étrangers et l’on conte que sir Philip Currie, l’ambassadeur d’Angleterre, manda à l’amiral stationné avec son escadre à Mitylène de forcer à toute vapeur le passage des Dardanelles, s’il ne recevait pas toutes les trois heures un télégramme, avec le mot : Safe.

Peu à peu le calme revint. A quelque chose malheur est bon. Le sultan terrifié changea de grand vizir et de politique et céda sur toute la ligne aux exigences des trois puissances. Les petites finesses par lesquelles il s’efforça de ménager son amour-propre n’avaient pas grande importance et les trois cabinets auraient eu tout lieu de se congratuler du succès de leurs efforts si, par malheur, ceux-ci n’avaient réussi un peu tard.

Les Arméniens, ballottés depuis six mois entre la crainte et l’espérance, travaillés sourdement par des émissaires, commirent des fautes. Les musulmans, profondément irrités de l’intervention de l’étranger, s’indignèrent devoir les chrétiens, leurs inférieurs depuis des siècles, obtenir, grâce à cette protection, l’allégement de souffrances dont le peuple turc lui-même n’est pas exempt. Ils se soulevèrent en masse. Il est trop certain qu’ils trouvèrent un concours empressé de la part des soldats et que les autorités fermèrent les yeux, quand elles ne se mirent pas à la tête du mouvement. Faut-il croire à une inspiration d’un machiavélisme barbare et à un mot d’ordre parti de Yildiz-Kiosk et commandant des Vêpres siciliennes dans toute la Turquie d’Asie ? Les Arméniens l’affirment : les preuves irrécusables font défaut. Quoi qu’il en soit, il suffit de ce pandémonium déchaîné dans toute l’Asie Mineure, et que le gouvernement impérial ottoman s’est montré