Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/699

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela lui sera utile sous ce rapport en lui redonnant du ton pour en parler encore.


Pauvre femme, qui voulait enlever à des fumeurs d’opium leur poison ! Jusque dans son asile de Coppet, on voit se profiler derrière elle, comme les sommets des Alpes à l’horizon, ces cimes majestueuses et froides, Royer-Collard, Guizot, Molé… toute la chaîne des glaciers. La jeune duchesse démériterait de leur amitié si elle ne les entretenait pas de ce qui les passionne ; elle doit faire effort pour se hausser sur les sommets. Nous faisons comme elle, nous abordons ces pics sublimes, certains d’y trouver la sérénité des hautes régions : l’air devient rare, courage ! les grandes vues vont se découvrir ; nous voici sur la crête… Seigneur ! Il n’y est bruit que des Trinquelaguex !

Il faut lire courageusement la volumineuse correspondance recueillie par M. de Barante ; il faut la lire pour juger l’attitude et la portée du regard de la haute fronde libérale sous la Restauration. On reste stupéfait de l’étroitesse du cercle où tournaient, avec un mouvement d’automates et de monomanes, les grands chevaux de bataille du manège doctrinaire. C’est l’ancienne intrigue de cour transportée dans l’enceinte du parlement. Ils réduisent à une partie d’échecs, avec des intérêts personnels pour enjeu, l’art de la politique, l’art de deviner les grands besoins d’une nation et de conduire cette nation à l’hégémonie du monde. Hostiles à la tentative des royalistes qui espéraient ressusciter le passé, effrayés par les conséquences logiques du terrible mouvement révolutionnaire, ils rêvent de médiocres compromis, ils passent leur vie à dessiner la tente étrangère qu’ils voudraient fixer sur notre sol, qu’ils confondent avec l’établissement original et solide du peuple anglais. Cette tente est déjà plantée, autant que faire se peut ; ils se refusent à la reconnaître, aussi longtemps qu’ils n’y sont pas maîtres. Leur opposition dénigrante et impuissante parle beaucoup, ose peu. Inintelligens de tout ce qui relevait la France aux yeux de l’Europe : congrès de Vérone, guerre d’Espagne, expédition d’Alger, ils blâment les heureux efforts qu’ils n’ont pas conseillés. Ils n’ont que des critiques pour ce bon serviteur, le duc de Richelieu ; que des risées pour ce grand voyant, Chateaubriand. C’est un libéral pourtant, mais les doctrinaires ne peuvent s’entendre avec lui : on lui parle politique parlementaire, il répond histoire de France. M. de Vandœuvre, un ami du baron de Barante, nous donne l’opinion commune de cette société sur Chateaubriand : c’est l’opinion qu’elle aura dix ans plus tard de Lamartine. « Il y a toujours un sourire sur les lèvres quand on