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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/720

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demain. Au point où nous en sommes, rien n’est plus invraisemblable, à moins que les modérés, sentant la gravité du danger, ne prennent une résolution énergique et prompte. S’ils ne peuvent pas renverser dès maintenant le ministère, et même s’ils ne désirent pas sa chute immédiate, du moins ce n’est pas à eux à le soutenir de leurs votes. Il n’est que temps d’adopter, devant le pays, des attitudes nettes et intelligibles pour tous. Sinon, c’en est fait pour longtemps du parti modéré. Il n’a pas su être un parti de gouvernement ; s’il ne sait pas davantage être un parti d’opposition, est-ce bien un parti et mérite-t-il d’être traité comme tel ? Le lendemain du jour où le ministère de M. Bourgeois a été formé, on se demandait comment il pourrait vivre ; on se demande aujourd’hui comment on pourra se débarrasser de lui. On voit que, depuis trois semaines, ce n’est pas l’opposition qui a fait des progrès.


En Orient, la situation ne s’est pas sensiblement modifiée depuis quelques jours ; tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’elle ne s’est pas aggravée. Le concert européen est toujours la meilleure, sinon la seule garantie que nous ayons du maintien de la paix, et tout le monde a approuvé la démarche par laquelle le comte Goluchowski a rendu ce concert plus manifeste et plus efficace. L’Autriche a presque toujours pris, dans les grandes crises orientales, des initiatives de ce genre, et plus d’une fois, il faut l’avouer, les complications ultérieures n’en ont pas été évitées ; mais, dans les circonstances actuelles, on ne pouvait rien faire de mieux, ni de plus, que d’européaniser la question qui avait été d’abord traitée seulement par trois grandes puissances, l’Angleterre, la France et la Russie. La multiplicité des intérêts en présence et quelquefois la difficulté même de les accorder permet de croire que rien ne sera fait à la légère, et qu’aucune puissance ne se laissera entraîner à une action isolée. Lord Salisbury, qui a pris en main avec tant de hardiesse la cause arménienne, est le premier à parler de l’union de toutes les puissances et de la nécessité de la maintenir. « Quelques personnes, disait-il dans un discours récent, semblent s’imaginer qu’en Angleterre nous disposons des décisions de toutes les puissances. C’est nous attribuer plus d’influence que nous n’en avons. Tout ce qui sera fait doit l’être avec unanimité, mais je ne puis parler qu’au nom d’une des puissances qui seront toutes d’accord (si elles tombent d’accord) sur toute action qui pourra être engagée. Je n’admets pas que la responsabilité de n’importe laquelle des décisions qu’elles pourront prendre pèse entièrement, ou même pour la plus grande partie, sur l’Angleterre. »

C’est à Brighton que le marquis de Salisbury parlait ainsi, le 19 novembre, dans une réunion de conservateurs. Rien de plus correct que ce langage, et il serait à désirer que le premier ministre de la Reine n’en eût jamais tenu d’autre. Mais il ne s’est pas borné là. Il a