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consciente. Et le système irait tout droit si les 20 000 électeurs consentaient toujours à se former en dix groupes de 2000. Mais il arrivera que l’un ou plusieurs des candidats réuniront plus de 2 000 voix, plus que le quotient, et que d’autres en auront sensiblement moins de 2 000, moins que le chiffre d’élection. Supposons que, sur les dix sièges, six ou sept soient tout de suite et de plein droit attribués respectivement par 3000, 2 800, 2 700, 2 500, 2 300, 2 200, 2 100 voix. Trois sièges demeurent en suspens, les candidats ayant respectivement 1 000, 800 et 600 voix. Les sept premiers élus dépassent de 1000, de 800, de 700, de 300, de 300, de 200 et de 400 voix le quotient électoral ; ce sont, en tout, 3 600 voix perdues, si ce ne sont pas 3600 électeurs non représentés. Que ces 3 600 voix perdues ou en surcroît s’ajoutent aux 2400 voix trop faibles et inefficaces des trois candidats malheureux, qu’elles se répartissent sur eux, qu’ils se les repassent ou qu’on les leur repasse de l’un à l’autre ; et, à en croire du moins Thomas Hare et Andræ, les dix sièges seront pourvus, et le quotient sera respecté, et tous les votans seront représentés, et tous le seront proportionnellement, et ce sera de bonne arithmétique ; en fin de compte, de bonne politique.

C’est ainsi, et pour cette raison, que ce qu’on appelle le système du quotient entraîne ce que l’on appelle la liste de préférence. Dans cette circonscription, où il y a à élire dix députés, chaque électeur ne peut voter que pour un candidat, mais, afin que son bulletin conserve toute son efficacité, il faut que sa voix puisse éventuellement se reporter d’un candidat qui n’en a plus besoin sur un candidat qui, faute d’elle, est menacé de rester en détresse, ou généralement d’un candidat préféré sur un candidat agréé. C’est le vote de préférence pour tel candidat, avec vote subsidiaire pour tel autre.

De tous les candidats, c’est B que je préfère, je l’inscris donc en tête de ma liste, mais C ne me déplairait pas et je me rallierais au besoin à D ; je les inscris donc deuxième et troisième. Si ma voix arrive à « mon homme », à B, après qu’il a déjà atteint le quotient de 2000, et si, conséquemment, elle ne peut lui servir, elle sera comptée à C ; si C lui-même a déjà atteint le quotient, D en profitera ; si elle tombe à terre, elle rebondira et ne sera jamais perdue. Il est possible que, par ce procédé, ma voix ne soit pas comptée à qui j’aurais le mieux aimé qu’elle allât, mais je n’en suis pas moins sûr d’être représenté selon mon goût et même selon ma préférence, puisque c’est seulement dans le cas où le candidat que je préfère serait déjà élu que mon vote se rabattrait sur mon deuxième candidat, et seulement dans le cas où le deuxième aussi serait élu, de celui-ci sur le troisième.