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systèmes et l’obscurité des formules ; — et c’est, à notre avis, la moins forte de toutes.


III. — LA REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE DANS SES EFFETS

Supposez donc que la représentation proportionnelle est établie et qu’elle fonctionne à souhait. Les électeurs émettent en pleine conscience de leurs droits un double vote simultané ; les scrutateurs se font un jeu de déterminer le diviseur commun. Ou bien, pour ne pas hasarder une hypothèse aussi hardie et ne pas croire trop légèrement à un progrès qui tiendrait du miracle, contentons-nous d’admettre que les citoyens les plus teintés de mathématiques se dévouent à ces calculs électoraux ; que les autres adoptent par routine le double vote simultané, comme ils avaient, par routine, adopté le vote pur et simple ; et qu’ainsi, tous faisant à peu près ce qu’il faut, la représentation proportionnelle marche du mieux que puissent aller les institutions politiques : à peu près bien. Ce ne sera pas assez qu’elle fonctionne pour qu’on la juge, car on ne juge pas une machine rien que sur la régularité de sa marche, mais aussi et principalement sur la qualité de son travail — laquelle se voit au produit. Cette machine perfectionnée de la représentation proportionnelle pourra marcher, on l’accorde ; mais comme travail, comme produit, que rendra-t-elle ?

Ceux qui l’ont construite et montée nous promettent plusieurs avantages, dont le plus général et le plus précieux serait plus de justice et de vérité dans le régime représentatif ; plus de sincérité, de bonne foi et de bon sens encore. On ne verrait plus, nous affirment-ils, de ces alliances qui confondent la raison, de ces coalitions immorales où les extrêmes se touchent et où les contraires se marient, pressés par la nécessité de former, à tout prix, une majorité, puisque la majorité seule existe et qu’être en minorité d’une voix, c’est ne pas être. Avec la représentation proportionnelle, les minorités existeraient ; être en minorité d’une voix n’empêcherait pourtant pas d’être et chaque minorité, pouvant rester elle-même, ne s’irait point noyer dans une minorité plus importante, mais opposée et en quelques points ennemie, pour former avec elle une majorité hybride, sans cohésion et sans dignité. Le système actuel de la majorité brutale coûte aux minorités ou l’honneur ou la vie ; la représentation proportionnelle leur laisserait la vie et l’honneur. Ainsi parlent les partisans du système nouveau, et en cela déjà ils exagèrent peut-être non la gravité de notre mal, mais le mérite de leur remède. Que ces coalitions paradoxales, avec la représentation proportionnelle, soient