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des bijoux, rien ne gâte la beauté de ces pages, et le plus sot reproche que les pédans leur aient jamais pu faire est celui de petitesse et de légèreté. Musique superficielle, a-t-on dit ! Musique intérieure au contraire, et qui n’emprunte rien au dehors. Tout y est sentiment et tout y est âme. « Tout ce qui m’a poussée, dit la Gretchen de Goethe, tout cela était si bon, si charmant. Chez Gounod tout cela est sérieux aussi. Je savais depuis des années combien cette musique est tendre ; il me semble que je ne sentais pas encore assez combien elle est grave. Rappelez-vous le prélude d’orchestre avant la romance de Siebel ; plus loin les séries d’accords, ces quartes étranges, et le solennel récit qui prépare la cavatine de Faust ; tout cela dit non seulement « que l’amour d’une vierge est une piété », mais qu’il est une pitié aussi. De ces harmonies et de ces ritournelles, de cet acte entier ne se dégage pas moins de tristesse que de douceur. Par tout un côté le rôle de Marguerite baigne dans l’ombre, — ombre de péché, de honte, de mort, — et cette ombre, loin de dénaturer le personnage, le rehausse au contraire et le grandit. Non, la Marguerite de Gounod n’est point une coquette ; l’air des bijoux n’est pas son rôle entier, mais une tache légère dans ce rôle. Après la cavatine de Faust, après la péroraison éclatante, voyez la tonalité pâlir et les sonorités s’éteindre. Est-ce une enfant rieuse dont cette symphonie pensive, ces quintes obstinément graves, cet orchestre sombre accompagne le retour ? Non, c’est une enfant déjà blessée au cœur, et d’une mortelle blessure. Croyez-en la note invariablement basse du premier récit : Je voudrais bien savoir quel était ce jeune homme ; croyez-en la cadence triste de chaque couplet du Roi de Thulé, le début sinistre du quatuor Oh ! calamité ! Croyez-en jusqu’au duo lui-même, où sous l’exquise douceur des mélodies et des accords se devine parfois l’inquiétude et presque l’épouvante.

Non, rien ici n’est mièvre ni frivole. Faut-il rappeler des beautés si connues : le quatuor, ce chef-d’œuvre de causerie musicale, où, comme disait Gounod lui-même, il y a des coins où circule un souffle tiède, qui ne brûle ni ne dévore ; où tout frissonne et languit sans que rien ait la fièvre, sans que l’émotion jamais altère la pureté, j’allais dire la santé de cet art exquis. Exquis, mais large quand il le faut : relisez dans Goethe, puis dans Gounod les confidences de Marguerite : Mon frère est soldat, et toute l’histoire de la petite sœur. Il vous semblera que la poésie indique seulement et que la musique développe ; qu’elle frappe la parole sèche et qu’elle en fait jaillir le sentiment et la vie. Oh ! l’ensemble final du quatuor ! Jamais depuis Mozart quatre voix n’ont plus harmonieusement chanté. La nuit vient ; tout se recueille,