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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/823

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est un prince dont on se moque à la seconde. L’amour qu’inspirent les rois doit être un amour mâle, mêlé d’une respectueuse crainte et d’une grande opinion d’estime. Quand on dit d’un roi que c’est un bon homme ou un bon père, si vous voulez, peut-il soutenir les charges du trône, comprimer les malveillans et faire que les passions se taisent ou marchent dans sa direction ? Ayez dans votre intérieur ce caractère paternel et efféminé que vous montrez dans votre gouvernement, et ayez dans les affaires ce rigorisme que vous montrez dans votre ménage. » Louis, fatigué de ces remontrances et ne pouvant être ni roi ni mari à sa guise, se débarrassa à la fois de son royaume et de sa femme. Il abdiqua au profit de ses enfans et s’enfuit à Toeplitz. Il s’y consola en dissertant avec Goethe sur la rime française et sur les trois unités. « On voit bien, disait Goethe, que les causes de son abdication sont nées avec lui. »

Napoléon riposte en décrétant : « Qu’il n’y a plus de royaume de Hollande (10 juillet 1810). » Cet acte lui paraît avoir « cela d’heureux qu’il émancipe la reine, et cette infortunée fille va venir à Paris avec son fils, le grand-duc de Berg ; cela la rendra parfaitement heureuse[1]. » Il n’a pas cependant méconnu toujours les torts d’Hortense : « Quelque bizarre, quelque insupportable que fût Louis, il l’aimait, et, en pareil cas, avec d’aussi grands intérêts, toute femme doit être maîtresse de se vaincre et avoir l’adresse d’aimer à son tour[2]. »

Restée seule à Paris, Hortense contracta avec le général de Flahaut une liaison depuis longtemps dans les données publiques de l’histoire. De cette liaison, naquit un fils qui, sur le témoignage d’un cordonnier et d’un tailleur d’habits, fut inscrit comme enfant légitime d’un sieur Demorny, propriétaire à Saint-Domingue, et de son épouse Louise Fleury. Plus tard, le Demorny fut coupé en deux et devint de Morny (23 octobre 1811). L’enfant, remis aux soins de sa grand’mère paternelle, Mme de Souza, apprit d’elle le ton exquis, la bienséance, la finesse de l’esprit, la grâce des manières, le goût des délassemens littéraires.

Secondée par l’abbé Bertrand, Hortense s’occupa elle-même de l’éducation de ses enfans légitimes avec la passion d’une mère dont la prière de chaque matin était : « Mon Dieu ! faites que mes enfans se portent bien et que je meure avant eux. » Elle veillait aux moindres détails de leur régime, les habituait à la sobriété, écartait d’eux tout ce qui pouvait avoir le caractère de la faiblesse et de l’adulation, s’attachait à leur donner une tenue naturelle,

  1. Finkenstein, 4 avril 1807.
  2. Rambouillet - à Joséphine.