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être utile. Lorsque la reine eut expliqué qu’il s’agissait d’obtenir, afin de rentrer en Suisse par la France, le passeport visé ou autorisé par les cinq grandes puissances, sans lequel aucun Napoléon ne pouvait se mouvoir, il transmit la demande à Paris, d’où on lui répondit de l’accueillir.

Cette fois, Hortense évita la capitale ; elle avait été épouvantée par une exclamation de son fils : « Si, en traversant Paris, je vois le peuple massacré, je m’élance dans ses rangs. » Ils tournèrent autour sans y entrer. Ils visitèrent, à Ermenonville le tombeau de J.-J. Rousseau, à Rueil celui de Joséphine. Ils n’eurent pas la force de se rendre à Saint-Leu. Par la grille fermée de la Malmaison, à cette heure du couchant, memento quotidien de la mort qui rend mélancoliques même les heureux souvenirs, ils contemplèrent à la dérobée les jardins silencieux, la demeure fermée du premier Consul, et ils purent dire

Ma maison me regarde et ne me connaît plus.


V

Le retour fut triste ; le prince se retrouvait en présence des pensées douloureuses écartées pendant son voyage. « J’ai bien pleuré, racontait-il à son père, en revoyant le portrait de ce pauvre Napoléon, et son cheval et sa montre. » Il refuse de s’occuper de l’héritage de son frère. Il ne tient nullement à l’argent qui vient d’une source aussi malheureuse, il ne demande que les objets ayant servi à l’usage personnel. Il eût voulu s’arracher à ces poignantes émotions en allant combattre en Pologne où l’appelaient les généraux insurgés. Un jeune Bonaparte apparaissant parmi eux, le drapeau tricolore à la main, produirait, à les en croire, un effet incalculable. Son père et sa mère unirent en vain leurs supplications et leurs ordres pour l’arrêter. Il quitta Arenenberg clandestinement sous un nom supposé. Il fut arrêté en route par la nouvelle de la chute de Varsovie.

Rentré dans sa solitude, il apprit que la patrie lui était décidément fermée et qu’une loi condamnait les Bourbons et les Napoléons à la même proscription (avril 1832). Il protesta contre cet accouplement légal des vainqueurs et des vaincus de Waterloo. Si les hommes n’étaient pas habitués à se mouvoir dans leur misérable existence au milieu de perpétuelles contradictions, on n’eût pas supporté que, presque en même temps, Napoléon fût remis sur sa colonne et sa famille frappée d’un bannissement perpétuel.

La patrie fermée, toute vie active interdite partout, l’exilé retomba douloureusement sur lui-même. Il était parvenu à cet