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véritable escamotage. On l’a arraché à la naïveté du gouvernement, à son ignorance, et peut-être à son patriotisme en faisant intervenir l’empereur d’Allemagne dans une peu sérieuse et trop rapide discussion, où il n’avait que faire. De plus, préalablement à ce vain décret, le projet même d’une exposition universelle n’a été soumis à aucune enquête, à aucune étude. Pas une des institutions qu’il intéresse n’a été consultée. L’avis des chambres de commerce, des chambres syndicales des grandes industries, des chambres consultatives des arts et manufactures, n’a été ni sollicité, ni même pressenti. On ne s’est pas prémuni de la moindre garantie que ce projet eût des chances de correspondre soit à un désir général, exprimé d’une façon quelconque, soit à un besoin national évident. Il nous semble pourtant que ces précautions eussent été rigoureusement nécessaires, et je n’eusse point trouvé excessif que, par surcroît de prudence, la question fût aussi posée devant les principales municipalités de France ! Et, puisqu’il est entendu que c’est au nom du commerce et de l’industrie qu’on les organise, il serait de droit strict et de justice élémentaire que, avant de décider de pareilles manifestations, le commerce et l’industrie, par la voix des chambres qui les représentent, fussent appelés à se prononcer sur une opportunité dont ils sont seuls juges, connaissant mieux que personne la nature de leurs besoins et le caractère de leurs aspirations. Le gouvernement craignait-il que les chambres de commerce et les chambres syndicales n’émissent un avis défavorable, auquel il eût été forcé de se rendre ? Ou bien, par une abstention ironiquement calculée, voulait-il exprimer l’idée qu’un projet d’exposition pût se passer de leur assentiment et qu’elles n’y comptaient, en réalité, pour rien ? Il n’est pas admissible un seul instant qu’une décision de cette importance soit prise en dehors de ceux-là seuls qu’elle touche et sous le masque du gouvernement, par une petite coterie parfaitement irresponsable, et qui ne représente rien d’autre que des intérêts privés d’un ordre qu’il ne m’appartient pas de qualifier.

C’est pourquoi la Chambre, en toute tranquillité, peut anéantir ce décret préparatoire, qui ne repose sur rien, tant qu’il n’a pas subi l’épreuve de la consultation décisive que nous demandons ; qui ne signifie rien, tant qu’il n’a pas reçu la sanction d’un vote parlementaire. Quand on viendra lui demander 100 millions, et avec ces millions le droit de déshonorer Paris, de décourager la province, de ruiner des gens qui ne demandent qu’à vivre et à travailler utilement, la Chambre pourra répondre par un vote plus conscient. Non seulement elle le pourra, mais elle le devra, car depuis le 13 juillet 1892, les objections contre cette exposition