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et animé. Clinique de théâtre plutôt que d’hôpital ; salle propice aux « attitudes » par les belles distances que l’architecte a ménagées entre les acteurs. On sent que tout le monde est ici hanté de souvenirs romains ; l’œil cherche les éperons de fer des navires d’Antium à ces rostres sculptés d’où l’avocat va émerger, tragique ! Le milieu, l’atmosphère, imposent aux personnages qui par diverses portes pénètrent dans la brillante salle, quelque chose de la contenance d’artistes prêts à jouer un rôle, et supportant déjà le feu de tous les regards.

Plus modestes assurément que les autres acteurs du drame, les douze jurés, un à un, paraissent au bout du couloir sombre qui mène à leurs sièges. Les voilà assis, très graves, très émus (c’est là leur grand mérite) à l’aspect de l’accusé qui apparaît en face d’eux. Ils considèrent la salle : à leur gauche, la Cour sur une haute estrade, le fond de boiseries sculptées, l’épée, la balance, le grand christ ; en face le barreau, les avocats, leurs secrétaires, l’accusé et ses gardes, les rangs pressés des journalistes ; puis à droite la foule, un premier rang de robes noires, et, vers le fond mal éclairé, une houle de têtes curieuses, de regards tendus vers le drame. Et partout, à la grande horloge, aux corniches, des scintillemens d’or, une gaité décorative bien en harmonie avec l’ensemble, avec l’aspect « amusé » de cet auditoire. On se place, on s’émeut, on reconnaît les personnages, tout à l’heure on va rire, applaudir et pleurer. C’est fort joli, en vérité, c’est vivant et grouillant sous le jour clair qui tombe des hautes fenêtres ; mais ce tableau offre deux taches sombres : l’accusé pâle et le juré inquiet qui sont là face à face.

Pendant les premières formalités de l’audience, pendant ces « stilz et menues pratiques » qui lassent l’attention et causent d’inutiles retards, quittons un instant notre Cour d’assises. Franchissons la distance, si brève et si immense, qui sépare la Cité de Paris de la Cité de Londres, la place Dauphine de Newgate Street. Cette courte excursion est nécessaire au but de ces études ; il faut que le lecteur puisse, en traits généraux, comparer le débat parisien au débat de la cour criminelle de Londres, embrasser d’un coup d’œil ces deux salles célèbres : la salle d’Old Bailey collée aux flancs du vieux et noir Newgate, notre salle d’assises posée sur les cachots de la Conciergerie.

Old Bailey. Rien de saillant à l’extérieur, surtout rien de monumental : l’entrée quelconque d’une banque d’Holborn. L’accès de la salle d’audience est défendu par des couloirs étroits et des escaliers minuscules. Dès le premier pas, on voit que ce lieu, qui est le lieu par excellence de la justice publique, n’est pas fait pour « le public », ni surtout pour la foule, que rien n’y attire.