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juges sont des hommes, il en est parmi eux de jeunes et d’ardens (oh ! d’une ardeur discrète, et qui partout ailleurs serait encore du flegme britannique ! ) que le débat émeut et qui le laissent voir. Or, en bien des pays, un juge lâché tourne son humeur contre l’accusé. A Old Bailey, c’est le contraire. Si le juge est nerveux, tant pis pour l’accusation ! c’est elle qui sera maltraitée.

Quant au débat, quelle impression première et tout extérieure se dégage de lui ? Ces avocats raisonnent plutôt qu’ils ne plaident, dans le sens oratoire du mot. Ils sont d’ailleurs tout près du jury, et la place est si étroite que si le bras du barrister s’abandonnait à quelque geste, les perruques voisines en seraient sûrement dérangées. Ces voix qui questionnent, répondent, exposent un fait, ne s’élèvent jamais au-dessus du diapason naturel à des hommes d’affaires discutant autour d’un tapis vert. Un seul trait suffirait à marquer entre ce débat et le notre une différence capitale. A chaque instant, à Old Bailey, la discussion est coupée de longs silences. Le juge, sans lever la tête, a fait un signe du doigt, et le témoin, qui parlait trop vite, s’est arrêté : le juge écrit la déposition, et cela dure plusieurs minutes. Nul ne dit mot et nul ne s’impatiente. Ensuite, c’est l’avocat qui, sans se hâter, recherche une pièce ; enfin c’est l’accusé qui, après de longs discours étrangers au débat — lui seul dans cette salle a le droit de s’écarter ainsi du sujet de l’indictment —, s’arrête tout à coup, consulte ses papiers, et fait une longue pause. Personne ne s’agite, personne ne le presse, même si ce retard fait redouter une audience de nuit.

Ce patient débat, avec ses arrêts de calme et de réflexion, marque une recherche de la vérité, un peu lente, sérieuse, exempte de toute pose. C’est une « preuve » que ces gens-là veulent établir, non pas un « effet » qu’ils veulent produire. Ils travaillent à l’audience, ils n’y viennent pas avec « leur siège fait. »

Dans notre solennelle audience de Paris, point de momens de silence, point de laborieuses recherches. Tout se déroule majestueusement comme une représentation bien réglée, comme une brillante sonate où l’on ne peut souffrir d’autres pauses que celles que le compositeur a voulues et marquées.

Avant de quitter la salle d’Old Bailey, regardons les douze jurés londoniens, assez semblables aux nôtres comme aspect extérieur. Ce sont aussi de petits négocians, mais ils paraissent bien plus au courant de leur besogne que les jurés parisiens. Ils sont plus libres d’allures, point ahuris ; ils prennent des notes, ils causent ensemble à voix basse et rapide, et posent des questions au témoin d’un ton net fort semblable à celui du barrister. On est surpris de voir avec quelle rapidité, après les derniers mots